Vaincre le Covid 19 et remettre l’économie en route ne sera pas simple. Dans ce contexte, il faudra faire preuve d’inventivité. Ce qu’ont fait certains pays à l’aide de techniques de traçage des mouvements des individus. Associées à des tests systématiques, elles permettent d’alerter les individus qui se sont trouvés en proximité des personnes infectées et de surveiller le respect du confinement par ces dernières. Aussi utiles soient ces techniques pour la santé publique, l’on ne peut que frémir à la pensée que l’État prenne l’habitude de surveiller en temps continu nos allers-retours et notre vie sociale.
Pour cela, nous devons réfléchir à de nouvelles règles régissant l’utilisation de nos données. Cette problématique n’est pas nouvelle. L’accumulation, l’analyse, et la synthèse de données par l’intelligence artificielle et la reconnaissance faciale peut mettre fin aux incivilités tout comme produire des dystopies. Un « score social » devait être mis en œuvre en 2020 en Chine et, parions-le, sera adopté bientôt par d’autres pays. Chaque individu (et chaque entreprise) se verra attribué par l’État une note publique reflétant ses comportements en termes d’écologie, de paiement des emprunts et des impôts, des services rendus à la collectivité, des fake news propagées, du réseau social et plus généralement de toutes les composantes de sa vie privée et publique, ces critères, leur interprétation et leur pondération étant à la discrétion du pouvoir central. Ce score affectera les conditions d’accès à l’emploi et aux biens et aux services aussi bien que la vie sociale (amis, compagnons, travail). Gageons à n’en pas douter que ce score social responsabilisera les citoyens quant à leurs comportements délétères, mais permettra aussi aux gouvernements de surveiller et réprimer à faible coût les comportements qu’ils jugent déviants du point de vue politique, religieux ou sociétal.
La crise du Covid 19 renforce ce point : la surveillance des données biométriques, des téléphones et des contacts sociaux des individus peut offrir un intérêt pour endiguer une épidémie, mais pourrait après cette dernière générer de l’ostracisme, de la discrimination et du contrôle social. On peut déroger aux règles en cas d’état d’urgence à condition de retourner à la « normale » quand il n’y aura plus de risque de contagion. Le risque, particulièrement dans des pays comme la Hongrie où l’État de droit est fragile, est bien sûr que le système démocratique ne revienne pas à la normale.
Des universitaires et des entreprises réfléchissent à comment faire pour ne garder que les bénéfices de cette surveillance, sans autoriser l’État à l’utiliser à d’autres fins ; par exemple, une application Bluetooth pourrait indiquer à ses utilisateurs qu’ils ont été en contact avec un porteur du virus, sans savoir qui, sans géolocalisation et sans accès au reste du téléphone. Mais les problèmes ne sont pas seulement techniques ; comme dans le cas du confinement et malgré une majorité se disant prête à jouer le jeu , l’on ne peut pas nécessairement faire confiance à la bonne volonté et supposer que tous les individus s’inscriront pour protéger scrupuleusement les autres contre l’infection. Malheureusement, il n'y a pas eu de débat ouvert sur les coûts et les bénéfices d'une participation obligatoire à un tel programme, ni de conception des politiques publiques permettant d’éviter les effets secondaires de cette approche par ailleurs raisonnable.
Comme dans le cas du score social, les politiques et les intellectuels n’ont pas été suffisamment dans l’anticipation. Nous avons une guerre de retard.