Interview accordée à Challenges Juin 2020
Challenges. Quelles seront les conséquences économiques de la crise sanitaire ?
Il est trop tôt pour se prononcer. Nous ne connaissons pas encore la durée de la pandémie, la date de découverte et l’efficacité des vaccins à venir, notre capacité à produire pour administrer les vaccins à 7 milliards de personnes, le degré d’immunité qu’auront acquis ceux qui auront été affectés… De plus, le choc est mondial. Les chaînes d’approvisionnement vont-elles se rétablir ? Les secteurs les plus touchés vont-ils savoir se réorienter ? Les pays vont-ils se replier sur eux-mêmes et privilégier la préférence nationale, la relocalisation à tout prix, au détriment du bien commun.
Pire qu’en 1929 ?
Une chose est certaine : cette crise aura des conséquences économiques supérieures à celle de 2008, et peut-être même celle de 1929. La bonne nouvelle est que nous sommes mieux armés qu’en 1929, où la régulation macroéconomique était défaillante et l’Etat-providence embryonnaire ou inexistant.
Comment expliquer un effet plus grave en France, alors que notre Etat-providence est censé amortir le choc ?
L’Etat n’avait pas d’autre choix que ce long confinement. Reconnaissons que ce n’était pas idéal. Nous ne pouvons pas en ignorer les conséquences économiques. Nous ne pouvons pas non plus oublier que le quasi-arrêt des enseignements scolaires et universitaires aura des conséquences sur l’avenir du pays et aura accru l’inégalité déjà très forte en France entre élèves ou entre étudiants.
Mais un choix alternatif aurait nécessité beaucoup plus de lits dans les services hospitaliers, plus de masques, de tests, plus de discipline collective dans le respect de la distanciation. Les pays du Sud ont découvert qu’il y avait beaucoup plus de respirateurs et de tests dans une Allemagne dont ils avaient décrié depuis vingt ans l’austérité et la disparation des services publics ; que dépenses publiques et service public sont corrélés, mais en rien synonymes.
Quelle analyse faites-vous des plans de relance massifs en Europe et aux Etats-Unis ?
La France fait beaucoup pour soutenir son économie. A mon avis, l’Etat n’avait pas d’autre choix que de protéger l’emploi, les entreprises dans les secteurs exposés au Covid, les acteurs financiers indirectement impactés par la crise des entreprises (renversant ici la causalité observée lors de la crise de 2008), les indépendants, les chômeurs…
Nous sommes à un moment charnière. Le coût de ces mesures est très élevé et l’aléa moral (fraude ou simple optimisation par rapport aux dispositifs d’aide), qui était très limité jusqu’alors, va réapparaître. Et surtout se pose un problème d’« antisélection » : les fonds publics risquent d’être gaspillés pour maintenir en vie des « entreprises zombies » sans grand espoir de se maintenir à terme, soit parce qu’elles étaient déjà en grande difficulté, soit parce que leur activité est remise en cause par la nouvelle donne sanitaire. Ces tonneaux des Danaïdes concurrencent et pénalisent les entreprises viables, qui doivent être soutenues.
En quoi ces « entreprises zombies » sont-elles une gêne ?
Il ne faut pas oublier le processus économique qui nous permet de conserver et d’améliorer notre pouvoir d’achat : les entreprises qui innovent, adaptent leurs produits à notre demande et ne laissent pas déraper leurs coûts et leurs prix prennent l’ascendant sur celles qui ne le font pas. Interférer trop avec ce processus (ou même le renverser complètement en soutenant plus les zombies que les entreprises viables) risque de se payer cher économiquement et politiquement.
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