Barrières à la sortie des énergies fossiles

9 Novembre 2020 COP 21

Confrontées au ralentissement de leur activité pour cause de pandémie et de transition vers une économie décarbonée, les entreprises qui exploitent des gisements d’énergies fossiles vont devoir réduire leur activité, voire l’interrompre définitivement. Que deviendront alors leurs installations d’extraction ? L’arrêt de leur exploitation ne sera pas sans conséquences pour l’environnement et le climat.

Dégazage incontrôlé

Aux Etats Unis, les fermetures de gisements gaziers et pétroliers se multiplient. Pour 2020, on estime qu’une soixantaine d’entreprises du secteur se placeront sous le régime du chapitre 11 du code des faillites (proche de la procédure de sauvegarde française), et on en attend autant pour 2021. A ces entreprises en difficulté mais pas encore en cessation de paiement, il faudra probablement ajouter un nombre égal qui feront faillite sans passer par le régime du chapitre 11. Ces fermetures ou réorganisations posent évidemment des problèmes aux employés, clients, fournisseurs et créanciers. Mais elles soulèvent aussi d’importants problèmes environnementaux. Quand une entreprise arrête définitivement l’exploitation d’un gisement minier, elle doit colmater les puits, démanteler les installations de surface et remettre les lieux dans leur état initial. C’est du moins ce qu’impose la réglementation en France. Dans certains états américains, il semble que les entreprises pétrolières et gazières puissent abandonner des gisements devenus non rentables sans trop se préoccuper de leur devenir, en particulier en les laissant rejeter dans l’atmosphère d’importantes quantités de méthane qui viennent s’ajouter aux dégazages ‘normaux’ des sites encore en exploitation. Rappelons que le méthane est un très puissant gaz à effet de serre avec un potentiel de réchauffement global 28 fois plus élevé que celui du dioxyde de carbone. D’après un article du New York Times, il y a déjà plus de 2,5 millions de puits gaziers et pétroliers abandonnés aux USA, dont 2 millions non colmatés qui relâchent des quantités de méthane équivalentes aux émissions annuelles de gaz à effet de serre de plus de 1,5 million d’automobiles.

Barrières à l’entrée et à la sortie

Devoir investir pour entrer dans une activité est facile à accepter quand on sait qu’on en retirera des profits. Les dépenses nécessaires à l’acquisition ou la location de terrains et de machines, l’achat de matières premières et l’embauche de main d’œuvre constituent des barrières à l’entrée naturelles, auxquelles il faut ajouter des barrières institutionnelles (autorisations administratives, brevets, diplômes) destinées à garantir un certain niveau de qualité et de sécurité. Mais devoir payer pour sortir de l’activité et ne plus rien gagner est plus difficile à rationaliser pour des acteurs économiques guidés par le profit. C’est une barrière à la sortie qui donne plutôt envie de rester actif, ou, si on n’est pas encore dedans, qui joue par anticipation le même rôle qu’une barrière à l’entrée. S’il existe des barrières à la sortie, on va maintenir actives des entreprises peu efficientes, voire déficitaires sur plusieurs années (des entreprises zombies) et ralentir l’innovation et la reconversion d’actifs de production. Mais, s’il n’en existe pas, les entreprises auront tendance à utiliser leur environnement (au sens large) comme un dépotoir gratuit pour tout ce qui ne les intéresse plus. Rompre un contrat de livraison ou d’approvisionnement peut être profitable, mais nuisible pour les co-contractants qui avaient investi pour respecter les termes contractuels. Mettre fin à un contrat de travail peut être tout bénéfice pour l’employeur, mais pour la collectivité c’est un chômeur supplémentaire, qu’il faudra aider et former pour qu’il retrouve un emploi. Les indemnités en cas de rupture sont là pour éviter un excès d’opportunisme. Mais elles ne sont pas suffisantes comme le suggéraient les économistes Olivier Blanchard et Jean Tirole il y a quelques années en préconisant d’appliquer un principe de responsabilisation par lequel les entreprises devraient payer à la caisse d’assurance chômage un montant égal au montant anticipé des allocations chômage que devra payer cette caisse au salarié licencié.

Prévisions et provisions

La prise de conscience des préoccupations environnementales est plus récente que le souci d’assainir les relations commerciales et salariales. Les règles en matière de responsabilité des entreprises vis-à-vis de l’environnement sont donc encore imprécises, en particulier quand elles cessent leur activité en laissant derrière elles une ardoise que devra finalement régler la collectivité. En ce qui concerne les fuites de méthane, il faudrait obliger les entreprises qui entreprennent le forage d’un puits à provisionner les dépenses qui seront nécessaires pour le sécuriser à sa fermeture. Mais provisionner n’est pas suffisant. L’expérience américaine montre que les bénéfices engrangés pendant l’exploitation servent au mieux à investir dans de nouveaux forages (les promoteurs de la décarbonation accélérée diront plutôt que c’est le pire), au pire à verser des primes aux dirigeants et des dividendes aux actionnaires avant toute provision destinée au démantèlement des équipements et à la sécurisation des sites. Au Nouveau Mexique et au Texas, les exemples abondent de demandes d’entreprises pétrolières ou gazières pour bénéficier du chapitre 11 dans les semaines qui suivent des versements de primes substantielles aux responsables de leurs déboires. La valeur des actifs de liquidation ne permet pas de couvrir les coûts de colmatage qui doivent finalement être réglés par de l’argent public.

Il est vrai que l’accélération récente de la désaffection pour les énergies carbonées était difficile à prédire. Mais toutes les activités industrielles sont risquées et c’est l’une des tâches de l’entrepreneur qui veut bénéficier des risques favorables de prévoir la couverture des risques défavorables. Pour Carbon Tracker, l’obturation des quelques 2,5 millions de puits onshore recensés aux USA coûterait 280 milliards de dollars. Ce chiffre exclut les puits non recensés, dont le nombre est estimé à environ 1,2 millions. Les états concernés, en particulier le Texas, n’auraient prévu de cautionnement que pour 1% des sommes nécessaires. Au bout du compte, ce sont les contribuables qui devront payer, ou bien les générations futures qui vivront dans un climat encore plus déréglé si les puits ne sont pas colmatés.

 

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Avec la transition écologique, il faut s’attendre à une multiplication du nombre de puits de pétrole et de gaz orphelins, c’est-à-dire de puits devenus improductifs ou peu rentables dont l’obturation n’est pas assurée pour des raisons financières. La valeur de revente des actifs d’exploration et d’exploitation va progressivement baisser puisque tous les opérateurs vont ralentir leur activité. Ce n’est donc pas avec la liquidation de ces actifs échoués que les entreprises pourront couvrir leurs coûts de sortie. De ce fait, on devrait assister à une aggravation des fuites de gaz à effet de serre avant que les finances publiques ne soient appelées pour se substituer aux opérateurs privés défaillants. Le coût d’entrée dans les énergies vertes est élevé. Il ne faut pas oublier que la sortie des énergies carbonées coûtera aussi très cher. Une ligne de plus à ajouter dans la facture de la transition énergétique. Mais l’ensemble de ces coûts de reconversion de l’économie doivent être mis en balance avec ceux que subira l’humanité si rien n’est fait pour freiner le réchauffement climatique.