Contrairement à la plupart des mammifères et notamment aux grands singes, les mâles humains s’occupent de leur progéniture. Ingela Alger montre comment un changement climatique a pu contribuer à l’émergence de cette prise de responsabilité paternelle.
En 2020, à l’heure de l’allongement du congé paternité, il semble évident que les pères donnent le biberon et contribuent aux soins à leurs enfants… Mais depuis quand ? Ingela Alger et son collègue anthropologue Jonathan Stieglitz ont cherché à savoir ce qui a pu mener à l’apparition de l’investissement paternel chez les humains.
« On ne retrouve pas ce comportement chez la plupart des mammifères et notamment les grands singes, pourtant proches cousins des humains. Le défi était donc d’expliquer comment cet engagement en tant que père, a pu apparaitre dans notre histoire lointaine », explique la chercheuse.
"Une nourriture plus difficile à obtenir"
Les changements climatiques qui sont survenus il y a environ deux millions d’années, en Afrique, à l’époque où vivait l’Homo Erectus, ont joué un rôle dans l’évolution des comportements, a-t-elle montré avec Jonathan Stieglitz.
Les espèces ont alors dû s’adapter à un climat plus sec, ce qui les a forcés à changer de régime alimentaire. D’un régime constitué principalement de fruits, d'amandes et d'autres noix, ils sont passés à un régime de racines et de viande. Et certains hommes se sont mis à coopérer avec les mères pour trouver cette nourriture plus difficile à obtenir et fournir ainsi plus de protéines aux enfants.
Les Dads et les Cads
Les chercheurs ont mis au point un modèle mathématique qui permet de comprendre comment cette évolution climatique a pu favoriser progressivement une telle modification des comportements sociaux, amenant les hommes à contribuer à pourvoir aux besoins des enfants sans savoir d'ailleurs s'ils étaient les leurs.
« Deux modèles paternels que l’on peut retrouver aujourd’hui dans n’importe quelle population, coexistaient alors. Les « Dads », prenaient soin des enfants, et les « Cads » étaient des séducteurs qui multipliaient les conquêtes et avaient donc une descendance plus nombreuse », expose Ingela Alger.
"Une complémentarité qui a favorisé la propagation des Dads"
« Mais lorsque le changement climatique a entraîné une spécialisation dans la production de nourriture—la viande, chassée essentiellement par l’homme, et les racines, extraites essentiellement par les femmes—le comportement des Dads est devenu complémentaire à celui des femmes, et c’est cette complémentarité qui a favorisé la propagation des Dads aux dépens de Cads. Notre modèle montre que ceci a pu être le cas même en l’absence de choix délibérés des femmes de favoriser ces Dads », analyse-t-elle.
Ces recherches peuvent ouvrir sur de nouveaux travaux. Il serait possible ainsi d’étudier quel pourcentage d’hommes ont tel ou tel comportement dans différentes régions du monde et de comparer.
« Nos résultats suscitent aussi de nouvelles questions, pointe Ingela Alger. Par exemple à partir de notre théorie on peut se demander si les conditions actuelles favorisent plutôt la multiplication des Dads, ces pères investis dans la paternité, ou bien celle des Cads, les séducteurs ? En allant plus loin, quelle société aurions-nous si tous les mâles devenaient des Cads ? »
Source: UT1 Capitole Mag