Derrière sa tonalité alarmante, le troisième volet du sixième rapport du GIEC sur l’atténuation du dérèglement climatique cache une note d’optimisme qui change fondamentalement la donne : le découplage de la croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) et des émissions de gaz à effet de serre.
Point de croissance sans émissions
« On court à la catastrophe si on ne fait rien, mais il n’est pas trop tard à condition d’agir vite. » Voici en gros ce qu’on aura retenu du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), du moins à partir de ce qu’en disent les médias. Malgré une confidentialité entretenue jusqu’à au jour de sa publication, il n’y a pas d’effet de surprise. L’urgence climatique s’apparente à un marronnier que la presse nous ressert à l’occasion de la parution des volumes successifs du rapport (trois à ce jour). Les journalistes n’ont plus qu’à reprendre les articles publiés lors des éditions précédentes en actualisant les statistiques et en y ajoutant des adjectifs plus alarmistes.
Comme le volume III du rapport 2022 compte près de 3000 pages, la tentation est grande de s’en tenir à la synthèse destinée aux décideurs. Mais le chapitre 2 qui traite des tendances et des facteurs d’émissions mérite qu’on s’y arrête car les auteurs y examinent le lien entre croissance et émissions de gaz à effet de serre (GES). Ils rappellent que le PIB est le principal indicateur du volume des émissions, et donc que sa croissance s’accompagne d’une hausse des émissions de GES: c’est le tristement célèbre « couplage » entre PIB et émissions. Le couplage a des conséquences désastreuses puisqu’il implique qu’on ne peut pas avoir de croissance sans augmentation des émissions. Le développement ne peut donc pas être « durable ». Il est incompatible avec une planète en bonne santé, et il n’y a de salut que dans la récession. Le corolaire est que les pays les moins avancés ne doivent pas rattraper le niveau de développement des pays riches si l’on veut éviter une catastrophe écologique. Avec une hausse des températures limitée à 2 degrés, les plus pauvres ne peuvent pas prétendre à un niveau de vie comparable à celui des pays développés.
Découplage absolu et relatif
La bonne nouvelle du rapport est que, depuis quelques années, on observe un découplage entre PIB et émissions de GES. Le rapport souligne que de nombreux pays industrialisés ont réussi à réduire leurs émissions de GES par unité de PIB. Ainsi, l’Union européenne a réduit l’empreinte carbone de la consommation par unité de PIB de 8% entre 1995 et 2015.
Les auteurs distinguent le découplage absolu (réduction par unité de PIB) et relatif (baisse de la croissance des émissions par unité de PIB), ainsi que les émissions territoriales et celles issues de la consommation des populations. Entre 2015 et 2018, 23 pays ont réussi un découplage absolu entre PIB et émissions territoriales, et 14 entre PIB et émissions imputables à leur consommation. Sur 116 pays émergents, 67 (dont la Chine et l’Inde) ont amorcé un découplage relatif. Leur croissance n’est plus liée à une augmentation des émissions de GES par unité de PIB. Les auteurs observent que le découplage est absolu dans les pays riches à haut niveau d’émission par tête, alors que le découplage relatif se produit dans certains pays en forte croissance comme la Chine ou l’Inde.
Les raisons du découplage
Bien que les raisons du découplage soient diverses, elles résident principalement dans l’investissement massif dans les énergies renouvelables (solaire et éolien) pour la production d’électricité. Le rapport mentionne une baisse du coût du kWh produit à partir des panneaux photovoltaïques de 56% et des éoliennes de 47% en cinq ans, ainsi qu’une augmentation des capacités de production de 170% pour le solaire et de 70% pour l’éolien au niveau mondial. Les autres facteurs sont les progrès dans l’efficacité énergétique des bâtiments et de la production manufacturière. Quant à la désindustrialisation des pays riches, si elle a contribué au découplage avec les émissions territoriales au sein de l’Union européenne, elle ne permet pas d’expliquer le découplage avec les émissions de la consommation. Et le découplage relatif des pays émergents permet d’espérer une industrialisation vertueuse, moins intensive en carbone qu’elle l’a été pour les pays développés.
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Selon la formule consacrée, le développement économique est dit « durable » s’il permet aux générations futures de subvenir à leurs besoins. On ne pourra pas garantir un niveau de vie comparable à celui des pays riches à tous les habitants de la planète sans réduire drastiquement la part des émissions de GES dans le PIB. Le découplage amorcé doit donc être accéléré en investissant massivement dans les technologies décarbonées partout dans le monde, et surtout dans les zones à forte croissance économique.