L’économiste Mathias Reynaert observe, dans une tribune au "Monde", que la loi européenne sur la restauration de la nature adoptée le 27 février est moins ambitieuse qu’il n’y paraît. La politique de protection n’explique en rien le verdissement progressif de l’Union européenne.
Le Parlement européen a adopté la loi sur la restauration de la nature le 27 février. Son objectif est de "restaurer les écosystèmes pour les personnes, le climat et la planète". Concrètement, la loi vise à protéger 30 % du territoire de l’Union européenne (UE). Cela peut sembler une importante proportion, mais cet objectif est en fait facilement atteignable, car l’Union abrite suffisamment de terres inexploitées pour les qualifier de "naturelles" ! Le compromis entre les gains écologiques et les coûts économiques de la protection a en réalité favorisé l’objectif de minimiser les pertes économiques (Tristan Earle Grupp, Prakash Mishra, Mathias Reynaert et Arthur Van Benthem, "An Evaluation of Protected Area Policies in the European Union", Working Paper n° 1490, Ecole d’économie de Toulouse, 2023). Bien que le plan de l’Union européenne semble ambitieux, il reste donc encore beaucoup à faire pour protéger la nature… Il faut savoir qu’avant même la loi qui vient d’être votée, les Etats membres de l’UE avaient désigné plus de 25 % de leur territoire comme zones protégées, afin de préserver les espèces et les habitats essentiels à la biodiversité de l’Europe et d’éviter une crise imminente de la biodiversité. Cet effort de protection a commencé au début du XXe siècle, mais a pris son essor dans les années 1980.
Une superficie équivalente à celle du Portugal
De plus, l’Europe s’est considérablement reverdie au cours du siècle dernier. L’UE a gagné une superficie de forêts équivalente à celle du Portugal. Ces deux faits sont-ils liés ? Les efforts de protection des Etats membres ont-ils contribué à l’écologisation du territoire de l’Union européenne? Pour répondre à cette question, nous avons divisé ce territoire en plus de 100 millions de petites cases à travers une "grille" couvrant tous les Etats membres. Nous avons mesuré le degré de verdissement des images satellite entre 1985 et 2019 dans chacune de ces cases. Nous avons aussi utilisé des données sur la date et le lieu de création des zones protégées. Pour chacune des 100 millions de cases, nous avons donc pu déterminer s’il y a une augmentation de la verdure après qu’une case soit devenue partie intégrante d’une zone protégée. Toutefois, une telle comparaison ne révèle pas les effets de la protection sur le verdissement de l’UE. Il se peut que les cases situées en dehors des zones protégées verdissent également. Pour contourner ce problème, nous comparons les terres situées dans des zones protégées avec des zones qui n’ont jamais été protégées et qui présentent des caractéristiques similaires en termes de terre, de sol et de climat.
Des zones abandonnées par l’agriculture
L’étude montre que la politique de protection n’explique en rien le verdissement progressif de l’Union européenne au cours des quarante dernières années. Même trente ans après leur mise en place, les zones protégées n’ont pas reverdi plus rapidement que les sites similaires non protégés ! Au final, il semble que les Etats membres aient protégé des terres en réalité peu menacées par le développement économique, telles que des zones déjà laissées à la nature ou récemment abandonnées par l’agriculture. Il s’agit donc d’une politique de protection qui a fière allure sur le papier, et dont les coûts économiques sont minimes. Si les Etats membres se souciaient vraiment de la biodiversité, ils auraient sélectionné des terres soumises à une forte pression par le développement urbain, industriel, agricole ou touristique, afin de s’assurer qu’elles conservent leur biodiversité face à cette pression. On constate d’ailleurs que cette "protection bon marché" a perduré dans le temps : les efforts de protection de la dernière décennie n’ont pas été plus efficaces que ceux des années 1990...
Article paru dans Le Monde le 3 mars 2024
Photo d'illustration de Ricardo Gomez Angel sur Unsplash