Les émissions de CO2 par les producteurs d’électricité continuent d’augmenter alors que la production d’électricité d’origine renouvelable progresse. La principale raison pour laquelle les pouvoirs publics versent d’importantes subventions aux énergies renouvelables est pourtant que l’augmentation des énergies renouvelables devrait mécaniquement entrainer la diminution des émissions polluantes. Comment expliquer ce paradoxe? Quelles politiques publiques faut-il mettre en œuvre pour réduire les émissions de CO2 à moindre coût pour la collectivité ?
L’augmentation simultanée des MWh renouvelables et des tonnes de CO2 par MWh
Au cours des années récentes, le parc de production électrique à partir de ressources renouvelables installé en Europe a littéralement explosé : le parc éolien est passé de 13 GW en 2000 à 106 GW en 2012, et le parc photovoltaïque de moins de 1 GW à 62 GW sur la même période. Depuis 2000, les éoliennes ont représenté plus de 28% des nouvelles capacités installées, et l’ensemble des renouvelables plus de 55%. La production d’origine solaire et éolienne est passée de presque rien en 2000 à 8% de la production totale en 2013. Malgré ce formidable accroissement de la production d’origine renouvelable, les émissions de C02 par MWh d’électricité produite ont augmenté. Une étude récente[1] montre que, entre 2011 et 2012, alors que la production d’électricité des vingt plus importants électriciens européens diminuait de 1.6%, leurs émissions de C02 augmentaient de 0.6%, soit un accroissement de 2% de leur facteur carbone moyen, à 350 kg CO2 par MWh. Comment l’expliquer?
Le prix du gaz, le prix du charbon et les coûts environnementaux
L’irruption de renouvelables réduit partiellement les capacités conventionnelles nécessaires pour satisfaire la demande, donc les émissions de CO2 à partir de ces capacités si la substitution se fait à technologies inchangées. Mais, la découverte de gaz de schiste aux Etats Unis a conduit à l’effondrement des prix du charbon, localement d’abord puis, par contagion, en Europe. Les centrales au charbon se sont alors retrouvées plus compétitives que les centrales au gaz, et les ont supplantées. Comme les premières émettent environ deux fois plus de CO2 que les secondes, les émissions par MWh ont augmenté. Une politique publique bien intentionnée est venue buter sur les mécanismes micro-économiques. Dans ce contexte, comment réduire efficacement les émissions de CO2 ?
La réponse économique est qu’il faut donner un prix au carbone soit en créant une taxe, soit en ouvrant un marché des permis d’émissions. Si le CO2 a un prix, par exemple €100 la tonne, les entreprises développent des technologies destinées à réduire leurs émissions polluantes. Dès lors qu’elles permettent d’abattre la pollution à un coût inférieur à 100 € par tonne de CO2, ces technologies sont adoptées par les industries émettrices. Donner un prix au CO2 crée donc les conditions d’une concurrence en innovation.
En parallèle, il est aussi possible de subventionner le développement de certaines technologies. En règle générale, les subventions ne devraient viser que les « biens publics ». Par exemple, il est légitime de financer la recherche fondamentale, qui sera utilisable par tous. De même, il n’est pas inefficace de subventionner le démarrage de certaines technologies (par exemple les éoliennes et le stockage d’électricité) si les réductions de coûts déclenchées par la production des premières unités grâce à l’apprentissage et aux économies d’échelle bénéficient à l’ensemble de la collectivité.
Les politiques publiques doivent trouver le bon dosage de ces deux instruments : des pénalités d’un côté et des aides de l’autre. Malheureusement, en matière d’environnement les décideurs politiques ont une tendance naturelle à accorder des subventions au détriment de la taxe directe sur le carbone, ignorant le vrai coût des subventions, les distorsions de concurrence et les comportements stratégiques engendrés par les aides publiques, et contribuant ainsi à la création d’une bulle spéculative[2].
Taxation indirecte (et inefficace) du carbone
Il est rare que les femmes et les hommes politiques acceptent de voir leur nom associé à de nouvelles taxes. Face à l’opinion publique, donc aux électeurs, tous préfèrent accorder des subventions. Il est plus avantageux de poser pour les caméras devant un champ d’éolienne, une ferme photovoltaïque, ou une usine qui fabrique ces équipements, que dans un bureau en train de signer le décret instituant une nouvelle taxe. Et pourtant, les subventions devront bien être financées par la collectivité, donc par quelque forme de taxation. Cette taxe peut être incluse dans le prix de l’électricité (Contribution au Service Public de l’Electricité en France), ou dans la dette publique, c’est à dire les impôts qui seront levés sur les générations futures pour payer les intérêts et l’amortissement de l’emprunt (le « grand emprunt » en France).
Combien les subventions aux ENR ont-elles couté à la collectivité depuis le lancement des programmes de réduction des émissions de C02 ? Il n’existe pas d’estimation globale certaine mais on dispose de quelques indicateurs. Les subventions aux énergies renouvelables ont couté € 24 milliards pour la seule année 2013 aux consommateurs Allemands[3], et € 4 milliards aux consommateurs Français. Par ailleurs, les énergéticiens européens ont collectivement perdu € 500 milliards de capitalisation boursière entre 2008 et 2013, la moitié de leur valeur[4], à cause du sur-investissement dans les années 2000s et de l’irruption des renouvelables. Cette perte financière conduit à des dizaines de milliers de licenciements.
Du bon usage des subventions
Outre leur coût caché, les subventions ont l’inconvénient d’être des instruments délicats à manipuler.
D’abord, si elles permettent de réduire les coûts des technologies subventionnées, elles devraient mécaniquement baisser dans le temps, pour accompagner la dite baisse des coûts. Mais il est beaucoup plus facile d’octroyer une subvention que de la réduire.
Deuxièmement, les subventions aux renouvelables créent une bulle spéculative. Attirés par la promesse de rendements élevés, les investisseurs se précipitent. Ce faisant, ils créent la demande pour les équipements, donc réduisent le coût des équipements, donc augmentent leur profit. Ce qui les encourage à s’engager encore plus. Devant ce niveau de profit, ils anticipent rationnellement que les pouvoirs publics vont baisser les subventions, donc ils se pressent encore plus. Avec des politiques nationales non coordonnées entre Etats membres de l’Union européenne, le résultat ne peut être qu’inefficace : 32 GW de panneaux photovoltaïques étaient installés en Allemagne fin 2012, environ la moitié du stock européen, alors que l’Allemagne est loin d’être l’Etat membre qui bénéficie du meilleur ensoleillement.
Finalement, les subventions changent la dynamique concurrentielle. La concurrence se développe pour obtenir les subventions et non pas pour développer de nouvelles technologies. La proximité sociale et financière avec les décideurs publics est plus importante que l’avancée technologique.
De l’inefficacité économique du compromis
Avant de se lancer à grande échelle dans le soutien aux énergies renouvelables, l’Europe avait mis en place un marché du CO2. Le prix de la tonne de CO2 y est aujourd’hui de l’ordre de € 4. La plupart des experts estiment que ce prix est trop bas pour conduire à des investissements, notamment dans le captage et l’enfouissement du carbone. Pourquoi le prix est-il si bas ? Principalement parce que les quantités de permis disponibles sont trop importantes par rapport aux émissions réalisées.
Le marché du carbone a été construit sur un compromis, lequel est l’art de la politique. La recherche du compromis est indispensable à la vie en commun. Dans le cas du marché du carbone, les politiques ont pris la décision courageuse de créer un marché, mais, pour le rendre acceptable, il a fallu en aménager les modalités : donner une exemption à telle industrie, des crédits plus importants à tel pays, créer un mécanisme de compensation avec les pays en développement. Le résultat de l’ensemble de ces compromis est que les quotas de permis sont très importants, probablement trop importants compte tenu des dernières évaluations du réchauffement climatique par le GIEC. Lorsque la crise économique a frappé l’Europe, avec la diminution de l’activité industrielle les besoins en quotas d’émission se sont naturellement réduits, et le prix de la tonne de CO2 a baissé, comme sur tout marché où la demande fléchit.
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Dans leur projet pour réduire leurs émissions de CO2 les Etats membres de l’UE ont commis l’erreur de plus mettre l’accent sur une orientation des choix technologiques au moyen de subventions plutôt que de réduire les autorisations d’émettre des polluants atmosphériques. Dans l’avenir proche, le plus probable est que les coûts devenant de plus en plus difficiles à supporter par la collectivité, les politiques décident d’arrêter ces programmes, d’autant plus que l’Europe est encore isolée sur ce sujet, probablement pour longtemps. Tout arrêter à ce stade de développement des institutions (le marché du carbone) et des techniques serait se priver d’incontestables avancées. Il faudrait rééquilibrer les outils de la politique environnementale. Il est souhaitable de refonder le marché du CO2, en particulier l’inscrire dans le temps pour donner une visibilité aux investisseurs, et réduire les subventions aux renouvelables. La collectivité et l’atmosphère s’en porteraient bien mieux.
[2] Une analyse formalisée de ces arguments est présentée par Claude Crampes dans un article scientifique récent, disponible sur http://idei.fr/vitae.php?i=30.