En France, les assureurs santé n'ont pas le droit de demander des test génétiques à leurs clients. Cela protège apparemment les assurés. Mais encourage l'anti-sélection, qui n'est pas sans effets pervers.
La génétique est l'un des domaines de la recherche médicale qui a le plus progressé ces dernières décennies. L'information fournie par les tests génétiques facilite la personnalisation des traitements, tant au niveau de leur choix que de leur dosage, ce qui garantit à la fois une plus grande efficacité et des effets secondaires atténués. De plus, cette médecine personnalisée ne se cantonne pas aux seuls traitements curatifs, puisque les tests génétiques fournissent également une précieuse information quant à l'utilité de certains comportements de prévention. En effet, de nombreuses maladies résultent de l'interaction entre patrimoine génétique et mode de vie. La détection précoce de certaines caractéristiques génétiques individuelles permet ainsi d'ajuster nos comportements afin de réduire la probabilité de contracter certaines maladies auxquelles notre terrain génétique nous prédispose.
L'information sur les gènes peut compliquer l'assurance santé
Bien que éminemment souhaitable d'un point de vue médical, l'information issue de ces tests peut compliquer de façon substantielle le fonctionnement des marchés d'assurance santé. D'une part, cette information génétique peut renforcer la discrimination des risques. Plus précisément, lorsque les assureurs santé ont accès aux résultats des tests génétiques de leurs assurés, ils peuvent ajuster leurs conditions tarifaires. D'autre part, empêcher les compagnies d'assurance d'accéder aux données génétiques individuelles accroît les phénomènes d'anti-sélection. En d'autres termes, certains assurés, se découvrant « à risque élevé» suite à un test génétique, peuvent souscrire un contrat d'assurance dont la prime a été calculée sur la base d'un risque moyen. L'anti-sélection complique ainsi la tâche des assureurs, et les induit à offrir des contrats moins alléchants aux assurés.
Quatre grandes familles de régulation
Quatre grandes familles de régulation des tests génétiques existent de par le monde, et diffèrent quant à l'arbitrage choisi entre les inefficacités causées respectivement par la discrimination des risques et les phénomènes d'anti-sélection.
La régulation appelée « Laissez-faire » permet aux assureurs santé d'exiger de la part de leurs assurés qu'ils réalisent un test génétique et qu'ils leur communiquent les résultats de ce test. Une telle régulation permet d'éliminer totalement les phénomènes d'anti-sélection, mais la discrimination des risques à laquelle sont exposés les assurés s'en trouve alors à son paroxysme.
D'une façon un peu moins brutale, l'obligation de révélation empêche les assureurs d'exiger de leurs assurés la réalisation d'un test génétique, mais oblige en revanche les assurés qui ont réalisé un test à en révéler les résultats. Cette régulation permet d'éliminer le risque d'anti-sélection, mais induit les individus à renoncer au test génétique (et à ses bénéfices médicaux) s'ils veulent éviter le risque de discrimination.
Une troisième régulation, intitulée règle du consentement, diffère des précédentes en ce que les assurés ont le choix de faire un test et peuvent garder de façon privative les résultats de ce test. Les assurés ont toutefois la possibilité de communiquer les résultats de leur test à leur assureur qui peut alors en tenir compte dans sa tarification. Cette régulation place a priori les assurés dans une situation commode puisqu'en cas de risque élevé révélé par un test génétique, ils peuvent omettre de communiquer cette information à leur assureur. En revanche, les assureurs peuvent être exposés à de sérieux problèmes d'anti-sélection. Ces problèmes d'anti-sélection sont à prendre d'autant plus au sérieux que cette régulation favorise la décision de réaliser un test génétique, ce qui à son tour augmente la fraction d'assurés qui disposent de leur information génétique.
Enfin, la quatrième régulation, qui est celle appliquée notamment en France, consiste à interdire purement et simplement l'utilisation de l'information génétique au sein des contrats d'assurance santé, que cette information soit favorable ou défavorable aux assurés. Le risque de discrimination est alors totalement neutralisé mais les phénomènes d'anti-sélection peuvent venir entacher le bon fonctionnement des marchés d'assurance santé.
La protection des assurés n'est pas sans conséquences
Il est clair que les deux dernières régulations protègent les assurés contre le risque de discrimination tandis que les deux premières atténuent les phénomènes d'anti-sélection. Néanmoins, il serait erroné d'interpréter cela comme un arbitrage entre la protection des assurés (contre la discrimination des risques) et celle des assureurs (en éliminant ou en atténuant l'anti-sélection). En effet, l'anti-sélection a également des conséquences dommageables pour les assurés. Un assureur peut en effet réagir à l'anti-sélection de deux façons, l'une passive et l'autre active. La réaction passive consiste à anticiper que nombre de clients qui se prétendent non informés de leurs caractéristiques génétiques ont en fait effectué un test qui leur a révélé un risque supérieur à la moyenne.
L'assureur doit dans ce cas baser sa prime d'assurance sur un risque supérieur à la moyenne, et augmenter le coût de l'assurance santé. La réaction active consiste à inciter ses clients à s'auto-sélectionner, en augmentant la franchise ou le montant du co-paiement pour ceux qui prétendent ne pas avoir fait de test. Cela incitera les individus testés et à risque à préférer le contrat, certes plus coûteux, qui les dispense de franchise. Dans les deux cas, les individus qui prétendent ne pas avoir fait de test se verront offrir un contrat moins alléchant (avec une prime ou une franchise plus élevée) qu'en l'absence d'anti-sélection.
La règlementation française ouvre la porte à l'anti sélection
Comme (presque) toujours en économie, les choix de régulation obligent à effectuer un arbitrage entre différents inconvénients. La réglementation française actuelle élimine le risque de discrimination, mais au prix d'une porte ouverte à l'anti-sélection. Cette dernière semble pour l'instant peu présente, car les tests génétiques sont encore peu développés. Il est à craindre que les effets délétères de l'anti-sélection ne montent en puissance au fur et à mesure de la généralisation de l'usage de ces tests. Il nous paraît important d'anticiper ces changements, afin le cas échéant de modifier la régulation en place.
Article publié dans la Tribune, en partenarait avec les Jéco (Journées d'Enconomie de Lyon)
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