Garantissant de façon décentralisée et anonyme des transactions à bas coût, le bitcoin fascine technophiles et libertariens. Hostiles à toutes formes de régulation, ces derniers se réjouissent que le contrôle de cette crypto-monnaie échappe au système bancaire et aux gouvernements. Un enthousiasme qui ne semble entamé ni par le caractère spéculatif du bitcoin - sa valeur a été multipliée par plus de mille puis divisée par cinq depuis sa création - ni même par son utilisation par les réseaux criminels ou terroristes. Mais derrière ce qui constitue indéniablement une révolution technologique se cache une question essentielle : quel avenir pour la politique monétaire ?
La quantité de bitcoins est plafonnée et augmente lentement, presque mécaniquement, en fonction de contraintes technologiques. Or, l'histoire récente a montré combien il pouvait être pertinent de confier à des banques centrales indépendantes le soin de réguler la quantité de monnaie. C'est en limitant sa croissance sous l'impulsion du président de la Réserve fédérale américaine, Paul Volcker, en 1979, que les pays développés ont réussi à juguler l'inflation. A contrario, l'injection de liquidités dans l'économie a été mise en avant, ces dernières années, comme ultime recours pour faire sortir nos économies de la récession.
Peut-on raisonnablement se passer de politique monétaire ? Un tel instrument est à la fois utile et efficace dans un monde où, selon John Maynard Keynes, les salaires ne s'ajustent pas automatiquement. Rêvons un instant. Cette « rigidité », source de déséquilibre constant, pourrait, en partie, disparaître dans une société ubérisée, où chacun verrait sa rémunération en bitcoin fluctuer au quotidien en fonction de son activité et des conditions de marché. A supposer que la quantité de monnaie reste inchangée, prix et salaires baisseraient en permanence sans que la déflation ne pose problème. Cependant, la monnaie ne se résumant pas aux seuls bitcoins, il faudrait également tenir compte de la monnaie scripturale, c'est-à-dire des moyens de paiement proposés par les banques commerciales. Nous basculerions en fait dans le « free banking », cher à Friedrich Hayek, avec une monnaie privatisée à la quantité entièrement déterminée par le jeu de la libre concurrence entre banques. Un monde dont la stabilité repose sur bien des hypothèses !
Pour autant, le statu quo n'est pas idéal : la politique monétaire semble aujourd'hui peu efficace pour relancer l'économie, voire dangereuse. Il ne s'agit pas tant de créer de l'argent, via la « planche à billets », que de pouvoir en baisser suffisamment la rémunération afin de faciliter le financement de l'investissement et de la consommation. La Réserve fédérale américaine dès 2008, puis la Banque centrale européenne en 2015 ont ainsi toutes deux ramené à zéro la rémunération des dépôts. Cela s'est révélé insuffisant, et nous a conduits dans une « trappe à liquidité » où les épargnants préfèrent garder leurs « sous » plutôt que de les prêter. Les banques centrales ont alors choisi de financer directement l'économie à travers des politiques de « quantitative easing » consistant à racheter des titres, d'où une abondance de liquidité qui porte en elle le germe des crises à venir. N'oublions pas que la crise de 2008 s'explique en grande partie par l'excès de liquidité créé par les politiques monétaires américaine et chinoise.
Ironie du sort, l'avenir de la politique monétaire pourrait bien passer par la disparition de la « monnaie papier » au profit d'une monnaie électronique, mais dans un schéma très éloigné de la vision d'un monde sans régulateur ! Cela s'inscrirait dans un mouvement visant à renforcer les outils à la disposition du banquier central pour mieux réguler la sphère financière. Avec la disparition de nos pièces et billets, celui-ci pourrait en particulier fixer un taux d'intérêt négatif sur la monnaie en période de récession, afin de soutenir l'économie en évitant tout à la fois « trappe » et « excès » de liquidité.
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