Interview accordée par Emmanuelle Auriol au magazine Les Inrocks avec la journaliste Amélie Quentel
© Les inrocks
Vous êtes économiste. Pourquoi avoir écrit sur le sujet des marchés clandestins ?
Emmanuelle Auriol – Je fais de l’économie publique, donc je m’intéresse à l’action de l’Etat et, a fortiori, aux inefficacités du système. Le crime organisé est la source de beaucoup de problèmes dans notre société, avec notamment un coût social très élevé : corruption, exploitation du corps humain, maladies…. Ce marché déstabilise des zones économiques et géographiques entières. Et ça nous retombe sur la gueule, regardez les Talibans : ils se financent via le trafic d’héroïne et, après, ils font des attaques terroristes… Toute cette activité économique qui échappe à l’Etat nuit fortement à la société. C’est pour cela que ça m’intéresse de travailler là-dessus et de réfléchir à des solutions.
Dans votre ouvrage, vous expliquez que le choix de la France de baser ses politiques publiques sur la prohibition est un échec. Pourquoi ?
En général, les partisans de la prohibition pensent qu’il est suffisant d’interdire un phénomène pour l’éradiquer. Mais supprimer l’offre ne suffit pas à supprimer la demande ! Dès lors que les citoyens ne peuvent avoir légalement accès à de la drogue ou aux services de prostituées, ils se tournent vers les réseaux du crime organisé, qui, eux, peuvent répondre à leur demande. Clairement, la prohibition comme seule solution est un échec : regardez le cannabis ! En France, on a la plus grosse consommation d’Europe, les arrestations se multiplient etc. Et, pourtant, cela ne supprime pas la consommation. En revanche, cela créé une économie parallèle tout en empêchant l’Etat d’agir, puisqu’il est dans une démarche d’interdiction et non pas de prévention et d’éducation.
D’ailleurs, en ce qui concerne le cannabis, vous estimez que “la légalisation du cannabis est la seule voie raisonnable”…
Je ne suis pas du tout libertarienne. Je suis pour une intervention étatique. Je comprends que les Français soient contre une légalisation qui impliquerait une vente libre. D’ailleurs, si je suis moi-même favorable à la légalisation, je n’en cautionne pas les usages ! Mais on a bien vu que soixante ans de prohibition ont été inutiles, d’autant qu’elles décrédibilisent l’Etat : les gens voient des interdictions partout et, pourtant, par exemple, il est toujours possible de se procurer de la drogue… Cela donne du crédit à d’autres réseaux, qui sont mal intentionnés. Je suis donc pour la création d’officines agréées par l’Etat. Dès lors que les gens auront accès, de façon légale, au cannabis, ils n’auront plus intérêt à recourir aux produits issus de réseaux clandestins. De plus, cela enlèverait au côté “transgressif” de la chose. Idem pour les drogues dures, dont les consommateurs devraient se voir reconnaître le statut de malades.
Pourtant, vous expliquez que la légalisation n’est pas sans conséquences néfastes : elle induirait une hausse de la consommation, et ce, tant pour la drogue que pour le recours à la prostitution. Est-ce vraiment préférable ?
C’est vrai que c’est mécanique : dès lors qu’on légalise un marché, la hausse de la consommation est systématique, ce qui n’est évidemment pas souhaitable. Je comprends que les gens puissent avoir peur. Mais, tout dépend de comment on légalise, ce qui est souvent mal compris des Français. Ils pensent que la légalisation et la répression sont nécessairement opposées. Or, ce que je propose, c’est justement de coupler les deux. La légalisation doit toujours être corrélée à des mesures répressives fortes. Par exemple, si vous pouvez acheter votre cannabis en officine, vous n’avez aucune raison de passer par un marché clandestin. Donc il faut punir très sévèrement les gens qui y recourent. Tout cela, lié à une taxation de l’Etat pas trop élevée – de façon à ce que, pour des raisons financières, les gens ne préfèrent pas malgré tout passer par les réseaux criminels moins onéreux – mais quand même assez haute pour être prohibitive, asséchera petit à petit le crime organisé.
A quoi serviraient alors les taxes prélevées par l’Etat ?
Elles pourraient être réinjectées dans la répression, la prévention et l’éducation. Dire la vérité aux gens, en général, ça marche. Donner des informations objectives permet de montrer la dangerosité réelle de toutes ces pratiques. Il n’est pas réaliste de penser qu’on puisse totalement supprimer ces marchés mais, en revanche on peut éduquer les gens. Avec les taxes perçues, l’Etat pourrait lutter contre les lobbies qui imposent des pubs à la télévision, sur des affiches… Mais aussi promouvoir la sensibilisation et l’éducation à ces sujets. De plus, d’éventuelles retombées fiscales seraient induites par cette taxation. Du moins, elle ne coûterait rien. Il faut que l’Etat reprenne le contrôle.
En ce qui concerne la prostitution, vous proposez de donner un statut légal spécifique aux prostitué-e-s…
Deux modèles existent à échelle mondiale : le modèle suédois, basé sur la criminalisation des clients, mais aussi le modèle allemand, qui prône une libéralisation du marché de façon a, censément, mieux le contrôler. Mais la prostitution n’est pas comme le marché de la drogue. La drogue est un bien, l’Etat peut fixer son prix. En ce qui concerne la prostitution, c’est différent : ce sont des êtres humains qui sont au coeur du phénomène. Donc l’Etat ne peut fixer de prix, ce qui fait que les coûts de la prostitution légale seraient très élevés. Les gens auraient donc à la fois recours à l’offre légale, mais se tourneraient surtout massivement vers les réseaux clandestins, beaucoup moins chers. C’est évidemment pire que tout, puisque cela favoriserait l’exploitation des êtres humains. A choisir, je préfère donc le modèle suédois même si lui aussi pose problème : en soi, certain-e-s prostitué-e-s font ce métier par choix, il est donc bête de pénaliser les clients allant voir ces personnes-là. Je propose donc la création d’un statut libéral pour les prostitué-e-s, comme ce qui se fait pour les médecins ou les avocats. Il y aurait un Ordre en charge des questions de consentement, de sécurité, de prix… Et, ensuite, à charge aux clients de vérifier qu’ils font appel aux services d’un-e prostitué-e exerçant de façon légale. En cas de recours à des réseaux clandestins, la punition devra être très sévère.
Vous proposez également des solutions concernant le marché des passeurs de migrants….
Je parle surtout des migrants économiques. Je suggère la vente de visas. En ce moment, dans la climat politique actuel, la société a une demande très forte de contrôle de l’immigration. La vente de visas permettrait de rendre plus acceptable l’arrivée des migrants aux yeux des Français, car ils contribueraient vraiment à l’économie nationale. Cela rendrait aussi plus transparents les besoins des entreprises : elles ont besoin des immigrés ! C’est aussi pour cela qu’Angela Merkel a accepté l’arrivée d’autant de réfugiés… Les gens viennent pour chercher un travail, des emplois que, d’ailleurs, personne ne veut occuper la plupart du temps. Ils ont, de plus, des compétences très complémentaires aux nôtres. Cela est d’autant plus souhaitable quand on voit que les arrivées clandestines font augmenter les votes en faveur de l’extrême-droite….
Pensez-vous que les politiciens français seraient prêts à avoir recours à la solution que vous proposez, que ce soit pour la drogue, la prostitution ou les migrants ?
Je suis optimiste. Il y a en ce moment un mouvement à échelle mondiale par rapport au cannabis. Ma modeste expérience, c’est que la vérité gagne toujours à la fin. En France, un consensus selon lequel la répression est un échec est en train d’émerger. Pour la drogue, je suis donc sûre qu’on va finir par y arriver. Pour la prostitution, cela me paraît jouable aussi. En ce qui concerne l’immigration… Cela va être plus difficile. Pour expliquer aux électeurs que les entreprises en ont besoin, il va falloir que les politiques – qui ont d’ailleurs des connaissances très limitées en ce qui concerne l’économie de l’immigration… – aient du courage. C’est pas gagné.
Pourtant, vous expliquez que la légalisation n’est pas sans conséquences néfastes : elle induirait une hausse de la consommation, et ce, tant pour la drogue que pour le recours à la prostitution. Est-ce vraiment préférable ?
C’est vrai que c’est mécanique : dès lors qu’on légalise un marché, la hausse de la consommation est systématique, ce qui n’est évidemment pas souhaitable. Je comprends que les gens puissent avoir peur. Mais, tout dépend de comment on légalise, ce qui est souvent mal compris des Français. Ils pensent que la légalisation et la répression sont nécessairement opposées. Or, ce que je propose, c’est justement de coupler les deux. La légalisation doit toujours être corrélée à des mesures répressives fortes. Par exemple, si vous pouvez acheter votre cannabis en officine, vous n’avez aucune raison de passer par un marché clandestin. Donc il faut punir très sévèrement les gens qui y recourent. Tout cela, lié à une taxation de l’Etat pas trop élevée – de façon à ce que, pour des raisons financières, les gens ne préfèrent pas malgré tout passer par les réseaux criminels moins onéreux – mais quand même assez haute pour être prohibitive, asséchera petit à petit le crime organisé.
A quoi serviraient alors les taxes prélevées par l’Etat ?
Elles pourraient être réinjectées dans la répression, la prévention et l’éducation. Dire la vérité aux gens, en général, ça marche. Donner des informations objectives permet de montrer la dangerosité réelle de toutes ces pratiques. Il n’est pas réaliste de penser qu’on puisse totalement supprimer ces marchés mais, en revanche on peut éduquer les gens. Avec les taxes perçues, l’Etat pourrait lutter contre les lobbies qui imposent des pubs à la télévision, sur des affiches… Mais aussi promouvoir la sensibilisation et l’éducation à ces sujets. De plus, d’éventuelles retombées fiscales seraient induites par cette taxation. Du moins, elle ne coûterait rien. Il faut que l’Etat reprenne le contrôle.
En ce qui concerne la prostitution, vous proposez de donner un statut légal spécifique aux prostitué-e-s…
Deux modèles existent à échelle mondiale : le modèle suédois, basé sur la criminalisation des clients, mais aussi le modèle allemand, qui prône une libéralisation du marché de façon a, censément, mieux le contrôler. Mais la prostitution n’est pas comme le marché de la drogue. La drogue est un bien, l’Etat peut fixer son prix. En ce qui concerne la prostitution, c’est différent : ce sont des êtres humains qui sont au coeur du phénomène. Donc l’Etat ne peut fixer de prix, ce qui fait que les coûts de la prostitution légale seraient très élevés. Les gens auraient donc à la fois recours à l’offre légale, mais se tourneraient surtout massivement vers les réseaux clandestins, beaucoup moins chers. C’est évidemment pire que tout, puisque cela favoriserait l’exploitation des êtres humains. A choisir, je préfère donc le modèle suédois même si lui aussi pose problème : en soi, certain-e-s prostitué-e-s font ce métier par choix, il est donc bête de pénaliser les clients allant voir ces personnes-là. Je propose donc la création d’un statut libéral pour les prostitué-e-s, comme ce qui se fait pour les médecins ou les avocats. Il y aurait un Ordre en charge des questions de consentement, de sécurité, de prix… Et, ensuite, à charge aux clients de vérifier qu’ils font appel aux services d’un-e prostitué-e exerçant de façon légale. En cas de recours à des réseaux clandestins, la punition devra être très sévère.
Vous proposez également des solutions concernant le marché des passeurs de migrants….
Je parle surtout des migrants économiques. Je suggère la vente de visas. En ce moment, dans la climat politique actuel, la société a une demande très forte de contrôle de l’immigration. La vente de visas permettrait de rendre plus acceptable l’arrivée des migrants aux yeux des Français, car ils contribueraient vraiment à l’économie nationale. Cela rendrait aussi plus transparents les besoins des entreprises : elles ont besoin des immigrés ! C’est aussi pour cela qu’Angela Merkel a accepté l’arrivée d’autant de réfugiés… Les gens viennent pour chercher un travail, des emplois que, d’ailleurs, personne ne veut occuper la plupart du temps. Ils ont, de plus, des compétences très complémentaires aux nôtres. Cela est d’autant plus souhaitable quand on voit que les arrivées clandestines font augmenter les votes en faveur de l’extrême-droite….
Pensez-vous que les politiciens français seraient prêts à avoir recours à la solution que vous proposez, que ce soit pour la drogue, la prostitution ou les migrants ?
Je suis optimiste. Il y a en ce moment un mouvement à échelle mondiale par rapport au cannabis. Ma modeste expérience, c’est que la vérité gagne toujours à la fin. En France, un consensus selon lequel la répression est un échec est en train d’émerger. Pour la drogue, je suis donc sûre qu’on va finir par y arriver. Pour la prostitution, cela me paraît jouable aussi. En ce qui concerne l’immigration… Cela va être plus difficile. Pour expliquer aux électeurs que les entreprises en ont besoin, il va falloir que les politiques – qui ont d’ailleurs des connaissances très limitées en ce qui concerne l’économie de l’immigration… – aient du courage. C’est pas gagné.
Pourtant, vous expliquez que la légalisation n’est pas sans conséquences néfastes : elle induirait une hausse de la consommation, et ce, tant pour la drogue que pour le recours à la prostitution. Est-ce vraiment préférable ?
C’est vrai que c’est mécanique : dès lors qu’on légalise un marché, la hausse de la consommation est systématique, ce qui n’est évidemment pas souhaitable. Je comprends que les gens puissent avoir peur. Mais, tout dépend de comment on légalise, ce qui est souvent mal compris des Français. Ils pensent que la légalisation et la répression sont nécessairement opposées. Or, ce que je propose, c’est justement de coupler les deux. La légalisation doit toujours être corrélée à des mesures répressives fortes. Par exemple, si vous pouvez acheter votre cannabis en officine, vous n’avez aucune raison de passer par un marché clandestin. Donc il faut punir très sévèrement les gens qui y recourent. Tout cela, lié à une taxation de l’Etat pas trop élevée – de façon à ce que, pour des raisons financières, les gens ne préfèrent pas malgré tout passer par les réseaux criminels moins onéreux – mais quand même assez haute pour être prohibitive, asséchera petit à petit le crime organisé.
A quoi serviraient alors les taxes prélevées par l’Etat ?
Elles pourraient être réinjectées dans la répression, la prévention et l’éducation. Dire la vérité aux gens, en général, ça marche. Donner des informations objectives permet de montrer la dangerosité réelle de toutes ces pratiques. Il n’est pas réaliste de penser qu’on puisse totalement supprimer ces marchés mais, en revanche on peut éduquer les gens. Avec les taxes perçues, l’Etat pourrait lutter contre les lobbies qui imposent des pubs à la télévision, sur des affiches… Mais aussi promouvoir la sensibilisation et l’éducation à ces sujets. De plus, d’éventuelles retombées fiscales seraient induites par cette taxation. Du moins, elle ne coûterait rien. Il faut que l’Etat reprenne le contrôle.
En ce qui concerne la prostitution, vous proposez de donner un statut légal spécifique aux prostitué-e-s…
Deux modèles existent à échelle mondiale : le modèle suédois, basé sur la criminalisation des clients, mais aussi le modèle allemand, qui prône une libéralisation du marché de façon a, censément, mieux le contrôler. Mais la prostitution n’est pas comme le marché de la drogue. La drogue est un bien, l’Etat peut fixer son prix. En ce qui concerne la prostitution, c’est différent : ce sont des êtres humains qui sont au coeur du phénomène. Donc l’Etat ne peut fixer de prix, ce qui fait que les coûts de la prostitution légale seraient très élevés. Les gens auraient donc à la fois recours à l’offre légale, mais se tourneraient surtout massivement vers les réseaux clandestins, beaucoup moins chers. C’est évidemment pire que tout, puisque cela favoriserait l’exploitation des êtres humains. A choisir, je préfère donc le modèle suédois même si lui aussi pose problème : en soi, certain-e-s prostitué-e-s font ce métier par choix, il est donc bête de pénaliser les clients allant voir ces personnes-là. Je propose donc la création d’un statut libéral pour les prostitué-e-s, comme ce qui se fait pour les médecins ou les avocats. Il y aurait un Ordre en charge des questions de consentement, de sécurité, de prix… Et, ensuite, à charge aux clients de vérifier qu’ils font appel aux services d’un-e prostitué-e exerçant de façon légale. En cas de recours à des réseaux clandestins, la punition devra être très sévère.
Vous proposez également des solutions concernant le marché des passeurs de migrants….
Je parle surtout des migrants économiques. Je suggère la vente de visas. En ce moment, dans la climat politique actuel, la société a une demande très forte de contrôle de l’immigration. La vente de visas permettrait de rendre plus acceptable l’arrivée des migrants aux yeux des Français, car ils contribueraient vraiment à l’économie nationale. Cela rendrait aussi plus transparents les besoins des entreprises : elles ont besoin des immigrés ! C’est aussi pour cela qu’Angela Merkel a accepté l’arrivée d’autant de réfugiés… Les gens viennent pour chercher un travail, des emplois que, d’ailleurs, personne ne veut occuper la plupart du temps. Ils ont, de plus, des compétences très complémentaires aux nôtres. Cela est d’autant plus souhaitable quand on voit que les arrivées clandestines font augmenter les votes en faveur de l’extrême-droite….
Pensez-vous que les politiciens français seraient prêts à avoir recours à la solution que vous proposez, que ce soit pour la drogue, la prostitution ou les migrants ?
Je suis optimiste. Il y a en ce moment un mouvement à échelle mondiale par rapport au cannabis. Ma modeste expérience, c’est que la vérité gagne toujours à la fin. En France, un consensus selon lequel la répression est un échec est en train d’émerger. Pour la drogue, je suis donc sûre qu’on va finir par y arriver. Pour la prostitution, cela me paraît jouable aussi. En ce qui concerne l’immigration… Cela va être plus difficile. Pour expliquer aux électeurs que les entreprises en ont besoin, il va falloir que les politiques – qui ont d’ailleurs des connaissances très limitées en ce qui concerne l’économie de l’immigration… – aient du courage. C’est pas gagné.