Les effets collatéraux de la voiture électrique

15 Décembre 2017 Energie

Les effets collatéraux de la voiture électrique

S. Ambec et C. Crampes

 

Les véhicules électriques consomment une énergie propre mais qui a été produite à partir d'énergies primaires qui, elles, ne le sont pas nécessairement. Le développement de la mobilité électrique va donc s'accompagner d'une nouvelle répartition géographique et sociale des pollutions provoquées par les transports.

 

Les particules élémentaires

 

L’avenir est à la voiture électrique. En France, le gouvernement s’est fixé comme objectif la fin des ventes de voitures à essence ou diesel d’ici 2040. La mairie de Paris veut les bannir d’ici 2030. En Inde, seuls les véhicules électriques devraient être commercialisés en 2030 selon le ministre de l’énergie. Partout on nous prédit une transition du thermique à l’électrique d’une importance égale au passage de la traction animale à l’automobile.[1] Certes, cette révolution de nos modes de transport va réduire nos émissions de gaz carbonique. Mais elle est surtout vue comme la solution au problème des pollutions atmosphériques qui sont la cause de 500 000 décès prématurés par an en Europe (selon l’Agence Européenne de l’Environnement[2]) et 7 millions dans le monde (selon l'OMS[3]). Qu’en est-il réellement ? En aura-t-on vraiment fini avec les particules fines, le NOx et l’ozone, sources de maladies respiratoires, cardio-vasculaires et de cancers?

 

Où vont les nuages?

 

La transition de la propulsion thermique à l’électrique modifie la localisation des émissions polluantes. Avec un moteur à combustion, la pollution est localisée là où l’énergie est consommée par l’usager de transport automobile, donc le long des rues et des routes sur lesquelles circulent le plus de véhicules, donc dans et aux alentours des gros centres urbains. Le moteur électrique déplace cette pollution vers les lieux de production de l’énergie utilisée par les véhicules. Pour ce qui est des centrales thermiques, les zones concernées par les émissions polluantes dépendent de la hauteur des cheminées et des conditions météorologiques locales, en particulier du régime des vents. Contrairement aux véhicules à moteurs thermiques, il y a donc une dissociation très forte entre le lieu d'usage du véhicule électrique, le lieu d'émission des polluants et les zones contaminées. Dresser le bilan environnemental de la transition vers la mobilité électrique n'est donc pas chose aisée.

 

La pollution des villes à la campagne

 

C'est cette question qui est étudiée par les économistes S. P. Holland, E.T. Mansur, N. Z. Muller et A. J. Yates qui ont évalué l’impact de la voiture électrique sur la qualité de l’air aux Etats-Unis. Ils ont collecté des donnés sur les émissions par mile parcouru par des voitures à essence pour cinq polluants : dioxyde ce carbone (CO2), dioxyde de soufre (SO2), oxydes d’azote (NOx), particules fines (PM2.5) et composés organiques volatils (COV). Ils ont comparé ces émissions avec celles issues de l’électricité consommée pour parcourir la même distance avec une voiture électrique de gamme équivalente (par exemple la Ford Focus dans ses versions essence et électrique). Pour cela, ils ont dû estimer l’impact de la consommation d’énergie en KWh par mile parcouru sur les émissions polluantes des centrales thermiques qui produisent localement l’électricité. En prenant en compte le trafic routier, la dispersion des émissions polluantes dans l’atmosphère et les dommages causés par la pollution (sur la santé, la production agricole et forestière, la détérioration des bâtiments), ils obtiennent un coût social de la pollution en dollars par mile au niveau de chaque comté américain. Leurs résultats sont illustrés par les deux cartes ci-dessous extraites de leur article publié dans l’American Economic Review.[4] La couleur associée à chaque comté représente le coût social d’un mile parcouru avec une Ford Focus. Elle va du vert pour un coût faible au rouge pour coût élevé. La première carte concerne la Ford Focus essence et la seconde sa version électrique.

 

 

Sur la première carte, on voit très clairement que les coûts sociaux des émissions polluantes du trafic automobile sont concentrés dans les grandes villes américaines. New-York, Atlanta, Chicago, Los Angeles, San Francisco ou encore San Diego ont des niveaux de concentration de polluants élevés qui rendent la pollution émise par un mile supplémentaire parcouru en Ford Focus très coûteuse pour la santé de leurs habitants. Ce coût est de 3.16 cents à New York, 3.85 cents à Los Angeles et 2.98 cents à Chicago. En revanche, dans les comtés ruraux, le coût social est bas, de l’ordre de 1.2 cents en moyenne.

 

Remplacer la Ford Focus essence par sa version électrique a deux effets sur les coûts sociaux du mile parcouru. Premièrement, la voiture électrique déplace la pollution des villes vers la campagne. Prenons une ville moyenne comme Fargo dans le Dakota du Nord, rendue célèbre par un film des frères Coen. Alors que le coût social de la pollution à Fargo n’est que 1.54 cents par mile avec la Ford Focus essence, ce coût atteint 4.61 avec la version électrique. Passer à la voiture électrique génère donc un coût supplémentaire de 3 cents par mile. Autre constat : le bilan environnemental dépend des modes de production de l’électricité. Le bilan est largement positif pour les Etats de l’ouest comme la Californie qui utilise surtout du gaz naturel et des centrales hydrauliques pour produire son électricité. En revanche, remplacer les voitures à essence par des voitures électriques s’avère néfaste pour les Etats du nord est comme le Dakota du Nord dont l’électricité est issue principalement de la combustion du charbon.    

 

Qui gagne et qui perd ?

 

Il ne faut donc pas attendre de miracle de la voiture électrique. Elle ne résout pas les problèmes, elle les déplace, ce qui a des impacts redistributifs non négligeables. L’amélioration de la qualité de l’air à Hollywood ou Manhattan qui se fait au détriment de Fargo ne concerne pas les mêmes personnes. Et ces personnes n'ont pas les mêmes revenus. Dans un autre article,[5] les mêmes auteurs montrent que cette transition est régressive : les plus pauvres y perdent alors que les plus riches y gagnent,[6] ce qui a des conséquences en termes de santé publique car ceux qui sont le plus exposés à la pollution ont moins de ressources pour se soigner.  

 

Reconfiguration de l'industrie électrique

 

Ces travaux montrent que l’on ne pourra pas échapper au débat sur le mix énergétique. Le bilan environnemental de la transition vers le tout électrique dans le transport et dans le logement[7] dépend de nos sources de production et d'acheminement de l’électricité. Plus de voitures électriques signifie plus d’électricité et donc plus d’émissions de particules fines des centrales thermiques à charbon en Inde, plus de déchets nucléaires en France. C’est aussi plus d’éoliennes, de barrages ou de panneaux photovoltaïques, et de nouvelles lignes pour acheminer l’électricité des sites de production jusqu'aux bornes de recharge avec une capacité conséquente pour un rechargement rapide. Donc, la révolution attendue dans la mobilité doit s'accompagner d'un changement tout aussi radical de la production, de la transmission, de la distribution et de la fourniture d’électricité. Les problèmes environnementaux et de santé publique provoqués par cette double rupture technologique devront être réglés par les gouvernants s'ils veulent éviter de voir s'aggraver la fracture déjà observée entre urbains et ruraux.  

 

 

 

[4] Holland, S.P., E.T. Mansur, N.Z. Muller and A.J. Yates « Are the environmental benefits from driving electric vehicles ? The importance of local factors », American Economic Review, 2016, 106(12), p. 3700-3729.

[5] Holland, S. P., E.T. Mansur, N.Z. Muller and A.J. Yates « Distribution effects of air pollution from electric vehicle adoption », NBER working paper, http://www.nber.org/papers/w22862.pdf

[6] Voir par exemple dans l'article mentionné la Figure 4 page 20 qui fait clairement apparaitre une corrélation positive entre niveau de revenus et bénéfices environnementaux tirés de l'électrification des véhicules.