Le choix que s'apprête à faire le gouvernement relève davantage de la tactique politique et budgétaire que de l'efficacité économique.
La France produit moins de richesses que nos homologues européens en proportion de sa population, en partie car les individus en âge de travailler y sont moins souvent dans l'emploi (avec un taux de l'ordre de 68 % contre 77 % en Allemagne ou dans les pays scandinaves). Cette question doit être une priorité nationale et suppose de continuer à engager des réformes du côté des retraites, de l'éducation, de la formation professionnelle, des politiques du logement…
Notre système d'assurance-chômage fait naturellement partie de la réflexion d'autant qu'il apparaît plus permissif sur certains points que chez nos principaux partenaires. La période travaillée exigée pour percevoir des allocations (la "durée d'affiliation") est particulièrement basse (6 mois sur une période de 24 mois), et la règle de conversion en une période d'indemnisation est très généreuse : un jour travaillé donne droit à un jour indemnisé jusqu'à un maximum de vingt-quatre mois.
Ceci justifie les mesures prises ces dernières années, en particulier la réduction de la période d'indemnisation lorsque le chômage est inférieur à un certain seuil. Pour autant, faut-il aller plus loin dans cette direction en augmentant la durée d'affiliation comme s'apprête à le faire le gouvernement? Ce choix relève davantage de la tactique politique et budgétaire que de l'efficacité économique.
Cela revient à incriminer les sans-emplois et leur faire payer une partie du coût de l'ajustement budgétaire alors que d'autres leviers d'action plus efficaces existent. Il est plus facile de les montrer du doigt que de s'en prendre aux retraités, aux niches fiscales ou aux catégories sociales plus aisées. Avec la réforme qui s'annonce, nombre d'entre eux vont se retrouver sans allocations, ce qui pénalisera l'activité mais générera quelques milliards d'euros par an d'économies. Et aucun syndicat n'appellera à une manifestation pour défendre leurs droits.
Cette stigmatisation est d'autant plus excessive que chômage et travail sont indissociables: les salariés cotisent pour une assurance-chômage, celle-ci doit être suffisamment protectrice pour leur permettre de rechercher un travail qui correspond à leur qualification tout en restant équilibrée sur le plan financier. Elle n'a pas vocation à générer des excédents pour pallier les carences budgétaires de l'Etat.
Certes, il y a sans doute encore des abus, avec des personnes qui alternent contrats courts et périodes d'inactivité couvertes par l'assurance-chômage, mais le gouvernement gagnerait à rééquilibrer son projet de réforme en renforçant les contraintes tant du côté des employeurs que des employés.
Réforme trop timide
Comme le dit le proverbe anglais, "it takes two to tango": les entreprises sont également en partie responsables de la situation sur le marché du travail, notamment celles qui se contentent de maintenir une partie de leurs salariés dans la précarité en les faisant "tourner" sur des contrats courts. Comme l'a montré l'Unédic en 2016, plus de 80 % des embauches sur des CDD d'un mois ou moins étaient alors des réembauches, c'est-à-dire le recrutement d'anciens salariés de l'entreprise.
Pour remédier à cette situation, le gouvernement a réformé le calcul des allocations-chômage et a mis en place le système de "bonus-malus" préconisé par les économistes Olivier Blanchard et Jean Tirole pour pénaliser les entreprises qui font appel de façon excessive à des contrats courts. Mais cette dernière réforme a été trop timide: non seulement des secteurs clés en sont exclus (comme le bâtiment, la santé et l'audiovisuel), mais tout ceci se fait en relatif par rapport à la moyenne du secteur. Les secteurs "vertueux", qui emploient principalement des CDI, continuent à cotiser plus et à financer ceux qui contribuent au maintien d'une forme de précarité dans le travail.
Article paru dans Les Echos le 23 mai 2024
Illustration: Photo The New York Public Library, from Unsplash