Le 11 avril dernier, le Conseil d'Etat annulait les tarifs réglementés de l’électricité vendue par EDF entre juillet 2012 et juillet 2013, et demandait au gouvernement de prendre un nouvel arrêté pour augmenter rétroactivement les tarifs bleus (28,7 millions de foyers) et les tarifs jaunes (appelés à disparaitre fin 2015). Le résultat probable sera une hausse comprise entre 20 et 40 euros pour les 92% de comptes résidentiels qui n’ont pas encore migré vers les offres commerciales d’EDF et de ses concurrents.
La ministre en charge de l’énergie réagissait aussitôt en jugeant « très regrettable » la décision du Conseil d’Etat et annonçait la « mise en chantier d’une réforme des modes de calcul [des tarifs] pour que le gouvernement puisse prendre des décisions sans [les] voir annulées sur une base juridique ». Elle déclarait plus tard que la révision du calcul devait permettre que les hausses ne dépassent plus le taux d'inflation.
Où, ailleurs qu’en France, pourrait-on trouver une autorité politique qui fixe pour une entreprise de droit privé un prix de vente en dessous de son coût de production puis, parce que retoquée par la plus haute juridiction administrative en raison de l’illégalité de sa décision (l’article L337-6 du code de l’énergie dit que les tarifs doivent couvrir les coûts), envisage de changer les règles pour imposer une vente à perte. Cette volonté du personnel politique de fixer les prix des biens et services trouve probablement sa source dans la formation de l’ENA, une école où l’on apprend à administrer l’économie nationale, à planifier et à gérer de façon centralisée les millions d’échanges quotidiens des citoyens français. Il y donc de la cohérence politique à vouloir ajouter quelque strate au mille-feuille tarifaire de l’électricité. En revanche, l’économiste ne trouve pas dans l’imbroglio actuel le moindre motif d’optimisme. Exiger d’une industrie qu’elle ne couvre pas ses coûts mais qu’elle serve toute la demande sans faillir et qu’elle investisse pour complètement bouleverser le parc de production montre à quel point le personnel politique français est déconnecté des réalités économiques.
Garçon ! La soustraction !
Dans une société responsable, les agents économiques devraient recevoir des signaux de rareté les poussant à des choix rationnels, et non des informations biaisées par les échéances électorales ou des objectifs mal assumés de justice sociale. De ce point de vue, la façon dont est établie notre facture électrique défie le bon sens.
Le consommateur d’électricité pourrait penser que le total qu’il doit régler figurant en bas de sa facture est la somme des lignes situées au-dessus. En fait le tarif final est fixé par les ministres chargés de l'économie et de l'énergie. Et c’est en remontant dans la page, donc par soustraction, que l’on va faire l’ajustement : après avoir soustrait une succession de lignes elles aussi administrées (tarifs de transport et distribution (TURPE), contribution au service public de l’électricité (CSPE), taxes et impôts) on finit par obtenir la somme qui sera versée aux fournisseurs d’énergie, et sur laquelle ces derniers devront rémunérer les producteurs (à l’exception des producteurs utilisant des ressources renouvelables qui sont inclus dans la CSPE).
La rémunération des vendeurs et des producteurs d’énergie est donc un résidu. Comme par ailleurs les vendeurs indépendants doivent pour l’essentiel s’approvisionner à un prix lui-même administré (prix de l’accès régulé à l'électricité nucléaire historique, ARENH), la composante purement marchande de la facture est réduite à quelques pourcents du total, … dans un espace économique où la fourniture d’électricité est totalement ouverte à la concurrence depuis le 1er juillet 2007 !
Ciseau tarifaire
C’est la faible différence entre le total tarifé et ses composantes également tarifées qui a poussé l’Association Nationale des Opérateurs Détaillants en Énergie (A.N.O.D.E) à demander au Conseil d’Etat de revoir à la hausse le total de notre facture. Etranglés par un tarif final trop bas étant donné les coûts régulés de l’amont (dont la CSPE, qui est par ailleurs sous-estimée et devra être un jour réévaluée), les fournisseurs d’électricité indépendants ne parviennent pas à attirer le nombre de consommateurs que l’ouverture à la concurrence pouvait leur laisser espérer. D’après la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), « Au 31 décembre 2013, 91% des sites sont au tarif réglementé de vente, ce qui représente 67% de la consommation d’électricité. L’ouverture du marché est sensiblement plus avancée sur le segment des clients non résidentiels (avec 14% des sites en offre de marché représentant 42% des volumes fournis) que sur le segment des clients résidentiels (avec 8% des sites en offre de marché représentant 9% des volumes fournis) ». Près de sept ans après l’ouverture généralisée à la concurrence de l’industrie électrique, le butin des indépendants est effectivement plutôt maigre en France, en particulier si on le compare à celui de la Grande Bretagne où six fournisseurs couvrent chacun des parts de marché de l’ordre de 15%. Et pourtant, le 27 mars dernier, le régulateur britannique de l’énergie (Ofgem) insatisfait de la situation ouvrait une consultation publique sur l’état de la concurrence avec, en vue, l’ouverture d’une enquête sur les distorsions de concurrence.
Politique énergétique
Il ne s’agit pas ici de disputer aux politiques le principe même d’une intervention dans l’industrie électrique. Il y a toujours par ci par là des effets externes à corriger, des mécanismes de marché grippés et des inégalités sociales à rectifier. Mais empêcher les consommateurs de recevoir les signaux de prix reflétant les coûts ne peut que les inciter à des comportements inefficaces, voire dommageables pour le système électrique. Deux nouvelles étapes devraient donc être ajoutées à la feuille de route de la ministre :
tant qu’il existe des tarifs réglementés de l’électricité livrée au client final, écouter les avis de la CRE qui fait ses calculs en fonction des coûts de la filière et dans le respect des dispositions légales ;
œuvrer pour que les prix payés par les consommateurs échappent dans des délais raisonnables à la calamité administrative, donc que soient supprimé le tarif bleu et que s’exerce la concurrence sur le marché de détail.
Mais alors, quid des risques de manipulation des prix par des vendeurs âpres au gain ? Et des pauvres qui ne peuvent pas payer leur facture ? Et des effets sur l’environnement ?
Autant de sujet qui seront abordés dans les prochaines livraisons de ce blog.