Comprendre pour entreprendre : Vous avez mené plusieurs recherches expérimentales sur les couples. Quel a été votre point de départ ?
Astrid Hopfensitz : Je me suis d’abord penchée sur la distribution des tâches dans le ménage, entre travail, éducation des enfants, etc, puis sur la question de la prise de décision. J’ai mené deux études à ce sujet, dont une partie en Allemagne, afin d’analyser les interactions entre hommes et femmes au sein des couples hétérosexuels. J’ai également travaillé avec John Stieglitz, anthropologue à l’Institut des Ètudes Avancées de Toulouse (IAST), qui s’intéresse à la gestion des ressources dans les ménages, mais pour sa part, chez un peuple de Bolivie coupé de l’économie de marché.
On parle d’économie comportementale…
Je travaille souvent avec des psychologues, comme Gwenaël Kaminski, maître de conférences en psychologie cognitive à l’Université Toulouse Jean-Jaurès. Avec lui, nous avons étudié les interactions entre sœurs, partant de l’hypothèse qu’il y a des différences de comportements économiques liées au genre, mais aussi à la place dans les fratries.
Quelle méthodologie avez-vous utilisée pour étudier la répartition de l’argent dans les couples ?
Nous avons privilégié l’expérience. J’ai créé une situation artificielle, en invitant, pour chaque étude, 100 couples dans un laboratoire. Chacun des deux conjoints a été installé à un poste de travail depuis lequel il ne pouvait voir l’autre. Nous les avons laissé agir en les isolant de toute influence extérieure afin de comprendre leur comportement intrinsèque.
À quels exercices ont-ils dû se prêter ?
Pour mesurer les préférences des hommes et des femmes au sein du couple, nous avons demandé quelle répartition ils feraient d’une somme d’argent qu’on leur donnait. Ils pouvaient décider de la répartir équitablement entre les deux conjoints, ou de donner plus à l’un qu’à l’autre. Toutes les situations d’inégalités ont été proposées, l’homme pouvant avoir tout et la femme rien, ou l’inverse. Mais dans nos propositions, la situation égalitaire leur rapportait toujours moins d’argent que s’ils acceptaient une certaine inégalité.
Dans la deuxième étude, vous avez aussi abordé la question de la préférence entre un bénéfice pour soi et un bénéfice pour le couple, mais de manière plus réaliste, en évoquant la question des salaires…
Cette fois-ci, nous avons proposé aux membres du couple de choisir leur répartition des revenus. Soit ils avaient le même salaire individuel, soit l’homme ou la femme avait un salaire très élevé mais l’autre touchait beaucoup moins. Nous avons été surpris de constater qu’il n’y avait aucune différence entre les réponses des hommes et des femmes. Tous deux sont, de la même manière, prêts à réduire leur activité pour que le salaire de l’autre soit plus élevé si cela entraîne une augmentation du revenu global du ménage.
Ce résultat reste cependant théorique, dans la mesure où l’on évoque seulement la préférence à gagner telle ou telle somme d’argent, sans parler des impacts de ce choix sur le plaisir ou le regard de la société. Or, il est clair que le choix d’aller travailler ou de rester à la maison ne dépend pas seulement du salaire. Il nous reste à étudier tous les autres paramètres.
Qu’avez-vous mis en lumière dans ces deux études ?
Dans notre société, le modèle le plus répandu consiste à ce que les deux agents du couple travaillent et touchent un revenu relativement proche. Mais les économistes prédisent que, pour être efficace, le couple ferait mieux de décider qu’un des deux se spécialise. Ce modèle inégalitaire sera la stratégie choisie, afin que le couple gagne plus d’argent. Très souvent, c’est la femme qui travaillera à mi-temps et s’adaptera en faisant des petits jobs, pour permettre à son conjoint de d’augmenter son salaire, en acceptant par exemple une mutation. Dans notre étude, 80% des couples choisissent cette efficacité. En revanche, l’inégalité commence à leur poser problème lorsque l’écart se creuse.
Chacun a t-il tendance à choisir la situation qui lui est favorable ?
Non, un agent capable de choisir d’avoir tout pour lui, alors que son conjoint n’a rien, ou presque, est, la plupart du temps, capable d’opter aussi pour la situation inverse. Mais ces cas sont assez rares. La plupart des couples préfèrent les déséquilibres limités. Ils ont même tendance à choisir l’égalité, quitte à perdre un peu d’argent, si le choix se pose entre des revenus inégalitaires juste un peu plus élevés ou des montants égalitaires seulement un peu plus faibles.
Qu’avez-vous observé en Allemagne ?
Les couples allemands choisissent plus souvent l’égalité qu’en France. Cela peut s’expliquer par le fait qu’il y a plus d’inégalités de salaires là-bas dans la vie réelle. Dans ce contexte, les couples sont prêts à plus d’efforts pour aller vers l’égalité. Mais dans les deux pays, on observe que les couples évitent les fortes inégalités car celles-ci sont génératrices de conflits.
Article publié dans Comprendre pour Entreprendre © Le magazine UT CAPITOLE
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