La loi El Khomri, aussi modeste soit-elle, mérite d'être défendue par tous ceux qui croient à la liberté comme vecteur de croissance économique et de justice sociale.
Les économistes l'ont démontré : le marché du travail français est profondément inégalitaire. Une majorité de CDI surprotégés, et une grande minorité d'outsiders qui passent des décennies dans le sas de la précarité, en espérant un jour rejoindre le camp des insiders. Il ne suffit pas de faire preuve de bons sentiments. Seule la simplification et surtout la stabilisation des procédures permettront de sortir de ce piège dans lequel nous nous sommes enfermés. La parole de notre prix Nobel d'économie national, Jean Tirole, ou celle d'un professeur au Collège de France, Philippe Aghion, devraient tout de même peser un peu dans le débat.
Mais c'est surtout de politique dont il est question aujourd'hui. Un quarteron de syndicalistes proches de la retraite, anxieux de perdre leur pouvoir de nuisance, s'étrangle, à l'idée que les salariés puissent décider d'eux-mêmes de leur sort, via un référendum d'entreprise. Un quarteron d'éditorialistes ne supporte, pas la perspective que le temps de travail puisse être adapté plus souplement, vers le haut comme vers le bas, en fonction des désirs des salariés et des impératifs de l'entreprise. Un quarteron d'éléphants socialistes s'entête à ne pas comprendre que la justice sociale, c'est faire tomber les barrières à l'embauche pour que jeunes, immigrés et non-qualifiés puissent trouver un premier boulot, une première place dans une société qui leur est aujourd'hui fermée.
Et ces quarterons, occupant depuis des décennies les lieux stratégiques du pouvoir social et médiatique, récitant imperturbablement leurs rengaines idéologiques éculées, s'accrochant à la société des statuts, font marcher des bataillons de lycéens et d'étudiants contre leurs propres intérêts. Honte à eux.
D'autant que la loi El Khomri contient, en plus de dispositifs propres au droit du travail classique, les prémices d'une nouvelle organisation du travail, mieux adaptée à un monde où le salariat cessera d'être la norme, où peu à peu les indépendants se substitueront aux employés et les donneurs d'ordre aux patrons. On y trouve en effet la généralisation du forfait jour, permettant d'échapper au fardeau du présentéisme à l'ère du nomadisme digital ; le droit à la déconnexion, élément de protection primordial dans le monde de l'e-mail 24h/24 ; et - « last but not least » - le compte personnel d'activité, qui permettra une plus grande autonomie de gestion des droits à la formation (et demain, des assurances chômage, retraite, santé ?) quand chacun enchaînera voire multipliera, des activités diversifiées.
Ce nouveau monde, les jeunes de la génération Y nous montrent tous les jours qu'ils l'ont intimement compris et anticipé. En se saisissant spontanément des innovations technologiques pour affirmer leur indépendance. En plébiscitant l'auto-entrepreneuriat et le coworking. En se déclarant prêts, pour un tiers d'entre eux, à lancer une boîte. En se jetant dans l'économie collaborative (demandez à votre chauffeur VTC, qui auparavant était chômeur ou intérimaire, ce qu'il pense des 35 heures). En allant massivement chercher du travail dans des pays plus flexibles que le nôtre.
Il est certain que la loi El Khomri reste un impair démocratique, dans la mesure où le programme du candidat Hollande annonçait tout le contraire, et que les militants socialistes ont raison, en ce sens, de se sentir trahis. Il n'en reste pas moins qu'il existe une majorité réformatrice dans le pays, qui transcende des clivages politiques archaïques. Rêvons que le centre droit s'allie au centre gauche pour voter la loi El Khomri sans la vider de sa substance.
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