Le côté lumineux des subventions aux renouvelables

4 Novembre 2015 Energie

Le système de subventions mis en place par les Etats membres de l’Union européenne pour soutenir les énergies renouvelables (EnR) est un cas d’école de politique publique mal conçue. On peut cependant lui trouver quelque vertu puisque ces subventions contribuent à rendre les EnR compétitives dans les pays en développement, c’est-à-dire là où va se dérouler la lutte contre le réchauffement climatique au cours des prochaines décennies.

1       Le gâchis des subventions aux EnR en Europe

Le marché du carbone

Comme nous l’avons déjà expliqué à plusieurs reprises dans d’autres billets, la façon la plus efficace de lutter contre les émissions de CO2 est de leur donner un prix, soit par une taxe, soit de préférence par un marché. En effet, lorsque les décideurs font face au vrai coût économique de leurs actions, lequel inclut l’impact de leurs décisions sur le stock de CO2 présent dans l’atmosphère, ils prennent des décisions en accord avec l’intérêt général. En particulier ils investissent dans les technologies bas-carbone les plus efficaces. Les gouvernements européens ont fait le choix courageux de mettre en place dès 2005 un marché du carbone pour l’échange de quotas. [1] Cette initiative doit être saluée, car l’Europe a joué un rôle précurseur dans ce domaine.[2]

Malheureusement, bien que le marché fonctionne plutôt bien, ses résultats déçoivent les responsables politiques qui espéraient un prix de la tonne de CO2 bien plus élevé que ce qu’il est. Encore un système conçu sans étude économique préalable.

Pourquoi le prix est-il « trop » bas ? Principalement à cause de la crise économique qui frappe le continent depuis 2008. Elle a réduit la croissance de l’activité, donc des émissions de CO2. L’Europe atteint donc sans effort particulier, presque par inadvertance, ses objectifs de réduction des émissions. Le prix d’une tonne de CO2 sur le marché s’établit autour de 9 Euros[3], et reflète correctement l’équilibre entre les besoins des industries assujetties et les volumes autorisés par les autorités européennes. Mais de nombreuses voix se sont élevées pour se plaindre que le prix était insuffisant pour déclencher des investissements bas carbone. Pour faire remonter le prix, la Commission européenne a mis en œuvre un mécanisme correctif consistant à reporter la mise en vente d’une partie des quotas à la fin de la décennie.[4] Par ailleurs, la campagne qui s’ouvrira en 2021 devrait voir une restriction supplémentaire des volumes d’émission autorisés.[5]

Les subventions aux EnR

Au marché du carbone, les politiques ont adjoint un autre instrument, bien moins efficace économiquement, mais bien plus habile politiquement : les subventions aux énergies renouvelables.

Quelle en est la justification économique ? Comme dans toute industrie, la construction et le déploiement d’EnR sont caractérisés par des économies d’apprentissage et d’échelle. Construire une première génération d’éoliennes génère des connaissances qui permettent de réduire le coût de construction de la deuxième génération. De la même façon, une usine qui produit 1000 panneaux photovoltaïques a un coût unitaire plus faible qu’une usine qui en produit 100. Il n’est donc pas déraisonnable pour les pouvoirs publics de subventionner les premières unités installées afin d’accélérer la baisse de leur coût. Pourquoi subventionner ainsi les EnR et pas les fabricants de téléphones portables, ou toute autre industrie qui présente une courbe d’apprentissage et des économies d’échelle ? Parce que la décarbonation de la production électrique est un levier essentiel dans la lutte contre le réchauffement climatique, ce qui justifie une politique publique spécifique. Par ailleurs, les EnR sont « éparpillées », visibles, et transforment les consommateurs en producteurs, qualités très appréciées des responsables politiques.

Même quand elles sont économiquement justifiables, les subventions sont un instrument délicat à manipuler. L’expérience montre que l’organisateur (la puissance publique) se laisse souvent capturer par les subventionnés et leurs fournisseurs, au grand dam des contribuables (ici les consommateurs d’électricité). Les bénéficiaires sont souvent les entreprises qui maîtrisent le mieux le processus d’octroi des subventions, en particulier le processus législatif et réglementaire de définition de celles-ci, et non pas celles qui proposent les meilleures technologies.

Dans la grande majorité des Etats membres de l’UE, les pouvoirs publics ont choisi de fixer le prix des kWh produits à partir des EnR, sans limiter le volume des équipements installés pour produire les dits kWh. C’est donc un mécanisme explosif qui a été instauré. Pour fixer le niveau de la subvention, l’administration utilise une estimation des coûts de fabrication des équipements produisant des EnR. Il est improbable que les fonctionnaires, si zélés soient-ils, obtiennent des chiffres exacts de la part des fournisseurs. De plus, même si la subvention reflète le coût réel à une date donnée, elle demeurera en vigueur pendant plusieurs années, durant lesquelles les coûts vont baisser de façon importante (puisqu’il y a des effets d’apprentissage), ce qui créée un profit économique pour les producteurs. Voyant cette opportunité de profit sans risque, ceux-ci vont s’engouffrer dans la brèche, et les quantités, qui ne sont pas contrôlées, vont s’envoler. Ainsi, le tarif d’achat déterminé administrativement n’est pas adapté à une forte baisse des coûts, qui est pourtant la raison qui justifie sa mise en œuvre.

Face à cet afflux massif d’EnR à financer, les pouvoirs publics ont alors réduit le niveau des subventions. Nous avons ainsi assisté à une course entre les subventions et les coûts, que ces derniers ont gagnée dans la plupart des cas. Certains Etats membres ont décidé de modifier le mécanisme de subvention et de recourir à des appels d’offre, i.e. de contrôler désormais les quantités, et non plus les prix.

A supposer que la décarbonation doive passer par la promotion des EnR, l’approche économiquement efficace devrait consister à (i) déterminer l’enveloppe globale pluriannuelle que la collectivité veut attribuer aux subventions aux EnR, (ii) déterminer le volume d’EnR à subventionner chaque année pour que la trajectoire des subventions soit conforme à l’enveloppe pluriannuelle, et (iii) lancer des appels d’offre pour ces volumes. On peut débattre si les appels d’offre doivent être neutres technologiquement, ou spécifiques à chaque filière.

Dommages collatéraux de l’irruption des EnR dans le marché électrique européen

L’irruption dans le marché de volumes importants d’EnR subventionnés crée des effets négatifs mal anticipés. Le premier dommage est pour les producteurs d’électricité historiques : l’offre d’électricité ayant augmenté de façon significative, alors que la demande est restée stable, les prix ont chuté, entrainant avec eux la santé financière des producteurs. On peut débattre sur la responsabilité de ces producteurs, qui ont continué d’investir massivement dans des centrales au gaz à la fin des années 2000, en anticipant mal la nouvelle régulation environnementale et ses effets. Quoi qu’il en soit, ils font face à d’importantes et réelles difficultés financières. Pour les surmonter, ils ont convaincu les pouvoirs publics … de les subventionner au travers de mécanismes de capacité.[6] Après avoir subventionné les développeurs et producteurs d’EnR, les citoyens européens vont devoir subventionner directement les producteurs « classiques », pour compenser les dommages causés par la première subvention.

Le second dommage est paradoxalement pour la filière EnR. Les pouvoirs publics, se rendant compte de leur erreur, ont fait brutalement volte-face. Le Royaume-Uni offre l’exemple le plus frappant, qui a remis à plat l’ensemble de sa politique de subventions, au grand dam de l’industrie des renouvelables.[7] Il n’est pas déraisonnable d’argumenter qu’une activité qui s’est fondée sur une politique publique mal conçue porte le risque que celle-ci soit corrigée, et que les surprofits disparaissent. Toutefois, l’inconsistance des politiques publiques n’est jamais bonne en soi.

Montant des transferts injustifiés

Les subventions européennes aux EnR ont donc provoqué des transferts injustifiés des consommateurs vers les producteurs/développeurs d’EnR.

Il est difficile de fournir un chiffre exact du montant transféré, mais en voici un ordre de grandeur raisonnable. Chaque année le Frankfurt School – UNEP Collaborative Center for Climate and Sustainable Energy Finance publie des statistiques sur les investissements annuels dans les EnR.[8] On trouve dans l’édition 2015 la chronique des investissements en Europe, de 2004 à 2014 : l’investissement cumulé sur ces onze années s’élève à 870 milliards de dollars, avec un pic de 120 milliards de dollars en 2011.

Par ailleurs, la Commission de Régulation de l’Energie a publié en avril 2014 un rapport sur la rentabilité des EnR en France métropolitaine.[9] On y observe que, pour le photovoltaïque, le taux de rentabilité moyen lors des appels d’offre est inférieur de 2% au tarif déterminé administrativement. De même, le taux de rentabilité de l’éolien terrestre semble en moyenne 2% supérieur au taux de rémunération normal du capital. En supposant que cette sur-rémunération du capital investi correspond à la rente injustifiée, celle-ci s’établit à 82 milliards de dollars en cumulé sur la période 2004-2014. Le calcul présenté ici n’est qu’une approximation. Il suggère toutefois que les rentes versées par les citoyens vers l’industrie des EnR en Europe s’établissent entre 50 et 100 milliards d’euros sur la période.

2       Le bon côté : une baisse vertigineuse du coût des EnR

Les subventions généreusement accordées par les dirigeants européens, et payées par l’ensemble des consommateurs d’électricité, ont contribué à la vertigineuse baisse des coûts des EnR. C’est important pour l’Europe, ça l’est encore plus pour les pays en développement, dans lesquels se déroulera au cours des prochaines décennies la lutte contre le changement climatique.

Aujourd’hui, dans certaines situations, les EnR constituent une alternative économique aux moyens classiques de production d’électricité. Voici quelques exemples : en Janvier 2015, la Dubai Electricity and Water Authority a conclu un contrat d’achat de 25 ans avec la société Acwa Power, pour la production d’un parc photovoltaïque de 100 MW, au prix de 58,5 $/MWh (58,31 €/MWh).[10] Ce prix, inimaginable il y seulement deux ans, s’établit comme la référence dans le marché. Il constitue probablement la meilleure nouvelle pour le climat que nous ayons eu cette année.

On objectera, à juste titre, que la production de cette électricité manque de régularité: elle n’est disponible que lorsque le soleil brille, ce qui ne coïncide pas toujours avec les besoins des consommateurs. La technologie Concentrated Solar Power (CSP) résout en partie ce problème : l’énergie solaire est stockée sous forme de chaleur pour être consommée la nuit. Cleanergy, une société suédoise qui vient de lancer un ambitieux projet CSP à Dubai, pense que le coût de cette technologie pourrait rapidement s’établir autour 50 €/MWh.

Cette baisse des coûts est essentielle. Dans les prochaines années, l’augmentation des émissions de CO2 proviendra principalement de la Chine et de l’Inde. Il est donc indispensable de servir la demande d’électricité de ces pays avec des sources bas carbone, dont les EnR, afin d’éviter une explosion des émissions.[11] L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) anticipe que la consommation d’électricité en Inde va doubler d’ici à 2030[12], et que la part du charbon déclinera de 74% à 51%, ce qui signifie que le volume d’électricité produit à partir du charbon, donc les émissions de CO2 et autres polluants associés, augmenteront de 45%. L’Inde émettrait alors 25% de moins de CO2 que les Etats Unis, et 25% de plus que l’Union Européenne. Si les coûts des EnR étaient suffisamment bas pour justifier par exemple un remplacement de 10% de charbon par des EnR dans le scenario de l’AIE, l’Inde réduirait ses émissions en 2030 de 250 millions de tonnes de CO2 par an, ce qui n’est pas négligeable.

La baisse des coûts des EnR apporte une explication au comportement « vert » de certaines entreprises. Récemment, la Maison Blanche a annoncé que de nombreuses entreprises américaines, dont Johnson & Johnson, Procter & Gamble, et Nike ont signé une promesse d’agir sur le climat, essentiellement de réduire ou de compenser leurs émissions de CO2.[13] Dans la même veine, Apple a annoncé que son fournisseur Foxconn produira autant de megawattheures d’origine renouvelable qu’il en faut pour fabriquer les produits Apple.[14] On peut toujours espérer que les PDG et membres des conseils d’administration de ces entreprises ont vécu une épiphanie environnementale. Il est plus probable que le faible surcoût de leur engagement a joué un rôle dans leur décision.

Les EnR ont un autre avantage sur la production classique : la taille critique est souvent atteinte pour de petites installations. Les habitants de nombreuses zones rurales en Afrique n’ont pas encore accès à l’électricité, et il est improbable qu’ils soient alimentés par les réseaux centralisés d’ici à 2030. En revanche, des mini-réseaux, alimentés par des EnR, devraient permettre de leur fournir un accès minimum à la « fée électricité », à un prix abordable. Cet effet sera probablement trop faible pour apparaître dans les statistiques, l’Afrique entière représentant à peine 3% des émissions de CO2. En revanche, le bénéfice humain sera très important.

* * *

Les EnR seules ne protègeront pas l’humanité des risques posés par le changement climatique. Pour changer les choses, il faut que les opinions publiques exigent un engagement fort des gouvernements et des entreprises. La baisse phénoménale du coût des EnR, portée en partie par les subventions des citoyens européens, rend plus accessible cet objectif grâce aux bénéfices qu’en retireront les pays en développement. A quelque chose, malheur est bon.

Article publié dans La Tribune


[2] Les Etats Unis ont mis en place le premier marché pour limiter la pollution de SOx dans les années 1990. Le marché du CO2 européen est plus ambitieux.

[7] “Energy groups axe UK renewable projects”, Financial Times, 20 octobre 2015

[10] “Cleanergy to unveil Dubai concentrated solar power project”, Financial Times, 20 octobre 2015.

[11] Rappelons que la Chine a aussi un très important programme nucléaire ; www.world-nuclear.org/info/Country-Profiles/Countries-A-F/China--Nuclear-Power/

[13] “Global companies sign White House pledge on climate change action”, Financial Times, 19 octobre 2015.

[14] “Apple and Foxconn step up renewable energy push in China”, Financial Times, 22 octobre 2015.