En France, le chômage se situe autour de 10% et n’est pas retombé en-dessous de 7% depuis 1982. Ces chiffres élevés sous-estiment malheureusement l’ampleur du problème dans la mesure où ils ne comptabilisent qu’une catégorie de chômeurs et ne tiennent pas compte des retraites anticipées et des découragements.
Ensuite, si 85% des Français sont encore en CDI, désormais presque 90% des embauches en France se font en CDD (et 70% sont des contrats de moins d’un mois). Du jamais vu. Les jeunes, les moins qualifiés, les seniors (55-64 ans) et les femmes sont les plus touchés par ces emplois précaires. Un coût moins visible de nos institutions du marché du travail est la mobilité réduite par l’absence de création de CDI; elle entraîne une perte pour les entreprises (qui voient des salariés rester dans des emplois devenus moins productifs) et accentue le mal-être au travail pour les salariés (qui restent en poste même quand ils en sont mécontents ou simplement voudraient en changer). Enfin, malgré ses piètres résultats, la politique de l’emploi coûte cher à des finances publiques déjà fragiles.
Si tout le monde s’accorde sur le fait qu’un carnet de commande plus important ferait reculer temporairement le chômage, ce dernier est en France pérenne. Face au caractère durable du problème, il faut que la France opère des réformes structurelles et repense à la fois son système de contrat de travail, son assurance-chômage, son éducation et sa formation.
Pour que notre pays crée de nouveaux emplois, ne précarise plus durablement les jeunes et permette aux plus de 50 ans –trop lourdement installés dans le chômage de longue durée–, de retrouver un emploi, une solution consiste à mettre en place un «contrat unique». Il s’agit d’un contrat de travail plus flexible que le CDI actuel, et qui laisse aux employeurs la décision de licenciement, mais –contrepartie naturelle– les responsabilise par la mise en place d’un système de «bonus/malus». Avec ce mécanisme, une entreprise qui licencie paie un malus sous la forme d’un accroissement des cotisations sociales; au contraire, une entreprise qui ne licencie pas bénéficie d’un bonus de cotisations sociales. L’entreprise a donc une incitation à licencier seulement quand l’emploi ne se justifie plus, alors qu’aujourd’hui, cette décision est contrôlée par le juge ou les prud’hommes, qui ne disposent pas de l’information nécessaire pour prendre cette décision.
Un tel système de «bonus/malus» réglerait de fait l’incohérence profonde qui existe actuellement en France, où les entreprises qui licencient n’ont pas à payer pour les indemnités versées au salarié, alors que celles qui ne licencient pas paient des charges sociales pour les autres. Avec le «contrat unique», chaque entreprise paie en proportion de ce qu’elle coûte à l’assurance chômage.
Le licenciement, sauf en cas d’abus de pouvoir ou de harcèlement par exemple, ne sera par ailleurs plus automatiquement soumis au contrôle du juge (les prud’hommes). Aujourd’hui, les procédures sont longues –elles peuvent durer deux, trois et jusqu’à quatre ans en cas d’appel, ce qui concerne 68% des cas–, fastidieuses et coûteuses pour les salariés et les entreprises, et leur dénouement aléatoire peut être injuste pour les deux parties.
Ayons désormais comme but de protéger le salarié plutôt que l’emploi. Malheureusement, les dirigeants politiques sont régulièrement mus par des objectifs louables mais contre-productifs: à trop protéger on ne protège plus, on a créé une société complètement duale, et on interdit à certaines catégories de personnes d’accéder à des emplois pérennes. En flexibilisant le contrat de travail, on donne finalement accès aux jeunes à des contrats bien meilleurs que les mini-CDD actuels (selon les derniers chiffres de l’Insee, la durée moyenne du CDD en France n’était plus que de 26 jours en France en 2011), qui alternent avec des périodes de chômage et encouragent peu les entreprises à former le salarié. Des CDD à répétition qui ne se convertissent que rarement en CDI: en effet, la France est, selon l’OCDE, le pays développé où le taux de conversion des CDD en CDI est le plus faible.
Avec le «contrat unique», le salarié est finalement mieux protégé puisque les indemnités de chômage continuent d’exister et qu’il a accès à plus d’emplois et à de meilleurs emplois. Avec cette mesure, les entreprises ont une meilleure visibilité du coût du travail et de l’avenir, et donc une capacité accrue d’adaptation aux mutations de l’économie. Tandis qu’avec le CDI tel qu’il existe aujourd’hui, la conjoncture actuelle, et les perspectives de croissance molle à moyen terme, les entreprises ne créent plus d’emploi.
Les Trente Glorieuses, avec des taux de croissance de 4 à 5%, sont bel et bien terminées. Les entreprises font aujourd’hui face à une forte incertitude: elles ne savent plus bien quels secteurs vont subsister, quelles entreprises vont survivre et comment les métiers vont évoluer, alors que l’automatisation de l’économie va polariser le marché du travail et les salaires. Le «contrat unique» ne palliera pas de lui-même les nombreux problèmes en matière de travail, mais il est un élément de la solution; par ailleurs, il n’enlèvera pas à l’État son rôle d’assurance des salariés contre les évolutions technologiques et les aléas de la vie.