Le prochain président, s'il veut réformer efficacement, devra payer pour réformer. Je présente ici une nouvelle méthode pour le faire vite - et avec l'accord des Européens. Il y a dix ans, j'avais publié, avec Charles Wyplosz, « La Fin des privilèges. Payer pour réformer ». Nous avancions qu'il vaut mieux compenser les perdants des réformes de la perte future de leurs rentes ou privilèges pour éviter les blocages.
Cela serait financé par un emprunt public, remboursé ensuite par les gains engendrés par ces réformes. Nous avions calculé qu'il eût fallu 10 % du PIB pour indemniser les perdants des réformes (marché du travail, fonction publique, commerce de détail, taxis et université). Réformer les retraites et la PAC eût coûté dix points supplémentaires de PIB. Aujourd'hui, je propose plusieurs amendements à ce dispositif.
Appliquer la réforme aux nouveaux entrants
Premièrement, la plupart des réformes devraient ne s'appliquer qu'aux nouveaux entrants (clause du grand-père). Ne changer par exemple les conditions de licenciement que pour les contrats signés après le 1er janvier prochain. Cela coûtera moins cher et mettra moins de manifestants dans les rues.
Rendre la réforme optionnelle
Deuxièmement, l'optionalité de la réforme. Il devra être proposé aux parties prenantes de l'accepter ou de la refuser. Seuls ceux qui optent pour la réforme seraient compensés (par exemple, ceux qui opteraient pour la flexisécurité verraient leurs allocations chômage augmentées).
Miser sur l'effet tablier
Troisièmement, l'effet sablier. Trop souvent, les syndicats ont intérêt à différer les réformes par du dialogue social interminable, pour émousser l'engouement du gouvernement à réformer et ainsi préserver leurs acquis. C'est classique mais efficace. Ma proposition ici manie incitations et crédibilité.
Le gouvernement, au moment de la présentation de chaque réforme d'envergure, mettrait sur la table une somme importante pour compenser les perdants de la réforme (y compris les syndicats). Cet argent serait disponible en cas d'accord avec les partenaires sociaux dans le premier mois. Au-delà, la compensation serait réduite d'un tiers de la somme initiale chaque mois.
Ainsi toutes les parties prenantes sauraient dès le départ qu'après trois mois la réforme passerait sans aucune compensation - ou serait arrêtée dans la rue. Si le gouvernement se montre assez ferme au début du processus, suffisamment de gens concernés feront pression sur leurs représentants pour qu'ils acceptent la réforme, avec négociation raisonnable dans le premier mois. C'est mieux pour le gouvernement, mieux aussi pour les parties prenantes.
Demander l'avis de l'Europe
Quatrièmement, l'acceptation par l'Europe. Ma suggestion est que le gouvernement français approche la Commission européenne et Berlin en proposant le marché suivant : « Autorisez-nous à nous endetter un peu plus pendant les deux premières années, mais seulement pour compenser des réformes que vous jugeriez comme importantes et efficaces. Cette dette française supplémentaire serait garantie par l'Europe (via le Mécanisme européen de stabilité - MES) et émise à Luxembourg. »
Cela aurait le double avantage de rendre cette dette encore de meilleure qualité que notre dette actuelle (car émise en euros sous droit luxembourgeois, ce qui la rend non restructurable même en cas de victoire de Le Pen) et de lui réserver un traitement comptable favorable.
En effet, la dette du MES (due par la Grèce, l'Espagne...) garantie par la France n'entre pas dans le chiffrage de sa propre dette. Il en irait de même pour cette dette pour réformer. Si les réformes étaient acceptées par l'Europe et Berlin, la dette supplémentaire pour compenser ne serait pas incluse dans le total de la dette publique de la France. Encore un autre argument pour inciter les partenaires sociaux à accepter les réformes dans le premier mois. Il faut des incitations pour réformer.