Le marché européen de l’électricité est très critiqué en France alors que nous en tirons bénéfice grâce à l’exception ibérique et ses exportations décarbonées.
« Aberrant » et « obsolète », c’est le jugement que porte Bruno Le Maire sur le marché européen de l’électricité. Selon le ministre de l’économie, ce marché « ne marche pas », car il empêche la France de profiter d’une « indépendance en matière de production électrique ». Il n’est pas le seul en France à fustiger les échanges marchands de mégawattheures (MWh) avec les pays frontaliers. Les syndicats tel que la CGT et Sud Energie ont fait de la sortie du marché un de leurs combats. Pourtant la France bénéficie largement de la possibilité d’acheter et de vendre de l’électricité à ses voisins au prix de marché.
Crise du nucléaire et exception ibérique
Comme nous l’avions souligné dans un précédent billet, l’année 2022 a été inhabituelle pour le marché électrique français. Avec des réacteurs nucléaires à l’arrêt et un déficit pluviométrique limitant la production hydroélectrique, la France a dû s’approvisionner hors de ses frontières pour éviter le blackout. Au total, 16 térawattheures (TWh) ont été importés en 2022 selon la Commission de Régulation de l’Energie (CRE). Surprenant pour un pays historiquement exportateur net d’électricité (43 TWh exportés en 2020 et 2021) et dont la consommation a baissé (de 4%) en 2022. La cause principale en a été la faible disponibilité du parc nucléaire (de l’ordre 52% de la puissance installée). Le minimum a été atteint en août 2022 avec 22 gigawatts (GW) disponibles sur un parc de 61 GW. Les lignes à haute tension transfrontalières ont été pleinement utilisées pour combler ce déficit.
Autre particularité de l’année 2022 : l’exception de la péninsule ibérique. Sous la pression des entreprises et ménages qui voyaient leurs factures exploser, la Commission européenne a autorisé le gouvernement espagnol à changer les règles du marché en subventionnant les centrales thermiques à gaz.
L’argument avancé pour justifier cette aide d’état exceptionnelle est l’isolement du réseau électrique ibérique du fait de sa faible interconnexion avec le reste de l’Europe. Le résultat a été tel qu’espéré : une baisse spectaculaire du prix de l’électricité sur le marché de gros, dont ont aussi profité… les fournisseurs et consommateurs français !
Le prix du mégawattheure a été systématiquement inférieur en Espagne au prix français : pour 2022, la moyenne a été de 167 euros en Espagne contre 275 euros en France. L’écart fut particulièrement important en été. A titre d’exemple, le 1ier août 2022, les prix étaient autour de 500 euros en France contre 150 euros en Espagne, selon eco2mix. Une aubaine pour la France qui, grâce à 1400 MW de capacité d’interconnexion, engrangeait ce jour-là un revenu substantiel en profitant du différentiel de prix (de l’ordre de 1400 x (500-150)=490 000 euros par heure, brut des droits d’accès au réseau d’interconnexion). Les règles du marché électrique européen ont ainsi réduit la facture de la défaillance nucléaire en France.
Exploiter au mieux les écarts de prix
En 2023, les prix du gaz et de l’électricité sont retombés progressivement. Le parc nucléaire français était à nouveau disponible. La France est redevenue exportatrice nette d’électricité en Europe avec un solde commercial positif de 50 TWh. Néanmoins, comme le montre la carte ci-dessous tirée du bilan électrique 2023 de RTE, le solde n’a pas été positif sur toutes les interconnexions.
Sans surprise, à la frontière espagnole la France est restée importatrice nette car l’exception ibérique a maintenu des prix plus faibles au sud des Pyrénées. Rien de tel en traversant les Alpes et la Manche puisque les électrons bénéficiaient de meilleures conditions de marché à l’export. Mais le solde commercial n’est pas resté continuellement positif. Les importateurs français ont pu tirer parti des épisodes de prix négatifs deux fois plus nombreux en Allemagne qu’en France (301 heures contre 147), et ainsi être rémunérés pour consommer de l’électricité.
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Trop souvent en France, l’Europe et les marchés sont identifiés comme la source de tous les maux. Le marché européen de l’électricité, qui organise les échanges entre pays par les prix, n’a pas échappé à la critique lorsque les prix de l’électricité ont flambé. Pourtant, la France a amplement bénéficié du marché par sa position géographique entre une péninsule ibérique à bas prix et des pays interconnectés où les prix étaient élevés (Grande Bretagne, Italie, Suisse). La France contribue aussi à la décarbonation du mix énergétique en exportant sa production nucléaire vers l’Allemagne, et en important le surplus des renouvelables en période de prix bas chez ses voisins. Grâce aux interconnexions, les forces du marché jouent en faveur du climat.