Cet article a été publié dans le magazine de vulgarisation scientifique de TSE, TSE Mag. Il fait partie du numéro paru à l’automne 2023, dédié au "Monde du Travail". Découvrez le PDF complet ici et écrivez-nous pour recevoir une copie imprimée ou nous partager vos impressions, à cette adresse mail.
Les photographies en noir et blanc de femmes travaillant dans des usines d'armement ont laissé une empreinte indélébile dans l'imaginaire national français. La Première Guerre mondiale a marqué un tournant dans la société, mais les recherches menées par Victor Gay, de TSE, remettent en question les idées reçues sur la libération des femmes grâce aux chaînes de montage.
Les femmes ont toujours travaillé. Mais à l'époque de la Première Guerre mondiale, même leur travail rémunéré n'était pas toujours pris en compte dans les statistiques de l’emploi : beaucoup travaillaient à la maison, à la ferme, dans l'entreprise familiale et souvent dans l'industrie textile et les services domestiques.
Les femmes ont participé de manière décisive à l'effort de guerre industriel : 430 000 étaient employées dans les industries d'armement en 1918. En parallèle, le conflit a provoqué un choc démographique massif, tuant plus de 1,3 million d'hommes français. Veuves ou célibataires, de nombreuses femmes ont dû trouver un travail pour joindre les deux bouts.
Le brouillard de la guerre
Mais cette participation massive des femmes dans la population active n'a pas été aussi libératrice qu'on pourrait le penser. Tout d'abord, elle a été le signe de l'appauvrissement des femmes par rapport à leur statut économique d'avant-guerre. Deuxièmement, elle a été suivie de mesures politiques fortement antiféministes : après la guerre, de nombreuses travailleuses ont été rapidement licenciées, le gouvernement souhaitant garantir aux anciens combattants les emplois qu'ils occupaient avant la guerre. Les hommes au pouvoir ont appelé au repeuplement et à un retour aux normes familiales patriarcales. L'accès à la contraception et à l'avortement a été restreint, même criminalisé, tandis que la France tarda à accorder le droit de vote aux femmes.
Cependant, au fil des générations, les femmes actives ont commencé à avoir un impact sur les normes sociales. Les recherches de Victor montrent que les personnes dont les mères et les grands-mères avaient travaillé pendant la Première Guerre mondiale ont eu des opinions plus progressistes sur le rôle des femmes dans la main-d'œuvre et les descendantes de ces pionnières sont plus enclines à travailler. Un combat pour l'égalité qui se poursuit encore aujourd’hui.
POUR ALLER PLUS LOIN
- The Missing Men. World War I and Female Labor Force Participation, Victor Gay and Jörn Boehnke, 2022.
- The Intergenerational Transmission of World War I on Female Labor, Victor Gay, 2023.
