La France va-t-elle de nouveau passer à côté d'une vraie réforme des retraites? L'abandon sans faire de vague de la retraite universelle par points, pourtant juste et lisible, le suggère. Exit aussi la suggestion de stabiliser les finances du régime en indexant les pensions sur le niveau des salaires, qui conditionne déjà les cotisations. Aujourd'hui le débat se cristallise autour de la « réforme paramétrique » : augmenter le nombre d'années de cotisation ou l'âge minimum de départ à la retraite?
Le fait que les Français partent tôt à la retraite et plus généralement aient un taux d'activité entre 55 et 64 ans beaucoup plus faible que leurs homologues européens (56% contre 77% en Suède) indique des marges de manoeuvre. A condition de ne pas oublier l'équité, et de faire en sorte que ceux qui commencent tôt dans la vie active ne soient pas mis beaucoup plus à contribution que ceux qui, poursuivant leurs études, entrent tard sur le marché du travail. Donc d'augmenter la durée de cotisation, et pas seulement l'âge de la retraite de façon indiscriminée.
Le rapport sur « Les grands défis économiques » de la Commission internationale, que j'ai dirigé avec Olivier Blanchard et qui vient d'être publié aux PUF, insistait sur la nécessité d'adopter une approche holistique : pour les retraites comme pour les autres grands défis, une seule mesure ne suffira pas. En l'occurrence, Il faudra également augmenter les incitations financières à retarder le départ en retraite et conserver un emploi, pour ceux qui en ont le goût et l'aptitude. Et enfin maintenir les seniors dans l'emploi.
Difficile de dissocier la réforme des retraites et celle du marché du travail. Malheureusement, les questions touchant à ce dernier sont inflammables, comme le montre l'exemple de la proposition de bon sens d'ajuster la générosité des allocations en fonction du marché (s'il n'y a pas d'offres, les chômeurs ne peuvent pas trouver d'emploi). Une telle assurance contracyclique, moins généreuse quand le taux de chômage dans le secteur est plus faible, existe pourtant déjà dans d'autres pays. En témoigne aussi la lente n'est pas sur le terrain, alors que l'employeur et les syndicats ont l'information sur sa réalité et sur la façon de la réduire.
il faudra améliorer encore la formation continue, traditionnellement très peu efficace en France, qui permettra aux salariés de progresser et d'adapter leur travail au changement technologique et leur offrira de nouveaux défis, rompant la monotonie de tâches maintes fois accomplies. Il faudra aussi encourager les entreprises à réduire les maladies chroniques en privilégiant la prévention et l'utilisation de solutions technologiques - en veillant bien à responsabiliser les sociétés concernées, qui doivent payer des cotisations de sécurité sociale plus élevées pour ouvrir à leurs salariés en emplois pénibles des droits mérités à une retraite anticipée. Autre raison d'éviter la mutualisation : la pénibilité est une réalité élusive pour quiconque introduction du bonus-malus, qui incite les entreprises, en échange de flexibilité, à garder leurs employés plus longtemps et à les former. Appliqué en juillet 2021, le bonus-malus ne touche pour l'instant que quelques secteurs. De plus, la variation des cotisations (entre -1 % et +1 %) est encore faible. Espérons qu'il sera élargi à toute l'économie et sera rendu plus incitatif.
Plus graves sont les abus du mécanisme de la rupture conventionnelle ou de l'intermittence et des CDD. Enfin, il faut déboulonner un certain nombre de mythes empêchant un vrai débat sur le travail. Non, les départs à la retraite ne créent pas d'emplois pour les jeunes, sinon la France aurait sans doute moins de chômage que les autres pays développés. Car le nombre d'emplois dans une économie n'a jamais été fixe (qui avancerait que rétablir le service militaire ou allonger la durée des études absorberait durablement le chômage?).
D'ailleurs, l'on ne voit pas très bien comment un retraité apporterait plus de richesse au pays, et donc aux jeunes actifs, qu'un salarié fournissant main d'oeuvre et cotisations sociales. Non, le problème de la Sécurité sociale, dont il faut rappeler que les cotisations ne couvent que 64% des dépenses, ne se résoudra pas de lui-même et sans coup férir, simplement par la croissance de la productivité; cette dernière est en berne depuis des décennies et le pays rechigne
à créer les conditions de la croissance. Non enfin, un monde sans incitations n'est malheureusement pas une option; le succès de la réforme de l'apprentissage ou le fait que le taux de sortie du chômage est plus élevé à l'approche de la fin de droits (surtout pour les salaires élevés) sont deux des nombreuses preuves du contraire?
Il faut également déboulonner un certain nombre de mythes empêchant un vrai débat sur le travail.
Article publié par "Challenges" le 13 octobre dans le cadre du collectif "Economistes du Bien Commun".
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