BlaBlaCar est une application qui permet aux conducteurs de partager les frais de transport en proposant des places dans leur véhicule à d'autres utilisateurs. Les conducteurs s'organisent pour savoir quand ils prévoient de partir, où ils vont et où ils peuvent déposer leurs passagers, ainsi que pour connaître le prix d'une place dans leur voiture. Ce service est extrêmement populaire en Europe, notamment pour les trajets interurbains de longue distance avec plus de 10 millions d'utilisateurs en France, par exemple.
Lorsque de nouveaux conducteurs rejoignent BlaBlaCar, ils vendent généralement moins de sièges que les conducteurs expérimentés, jusqu'à ce que leur profil ait accumulé plusieurs bonnes critiques. En effet, les utilisateurs attachent de l'importance à la réputation et préfèrent voyager avec un conducteur bien évalué ; c'est un phénomène courant qui a été observé sur de nombreuses autres plateformes en ligne telles que Airbnb et eBay. Or, si ce nouveau conducteur est issu d'une minorité discriminée, comment cela affecte-t-il sa capacité à vendre des sièges ?
Un fort impact financier
Dans une nouvelle étude approfondie, nous avons recueilli des données sur BlaBlaCar pour tenter de répondre à cette question. À l'aide des photos de profil et des noms, nous avons déterminé quels étaient les conducteurs issus de minorités ethniques et étudié leurs performances par rapport à celles des non-minorités. Les résultats révèlent une discrimination claire : les annonces proposées par les nouveaux conducteurs issus de minorités semblent être moins choisies que celles des autres nouveaux utilisateurs ; et seul un prix inférieur de 12 % à celui des autres annonces leur permet de vendre des sièges. Ces résultats s'ajoutent à un ensemble de preuves empiriques en pleine croissance montrant que les préjugés se manifestent par des résultats économiques pour les minorités ethniques sur plusieurs grandes plateformes en ligne.
Toutefois, nos résultats apportent également de bonnes nouvelles : la construction d'une réputation, grâce aux évaluations des passagers, permet aux conducteurs issus de minorités de surmonter la discrimination initiale. Par exemple, si la disparité en termes de revenus entre les conducteurs minoritaires et non minoritaires sans réputation (nouveaux conducteurs) s'élève en moyenne à 12 %, elle tombe à 7 % pour les conducteurs ayant une certaine réputation (entre six et quinze évaluations), et elle devient insignifiante pour les conducteurs expérimentés (plus de 40 évaluations).
L'importance d'une bonne e-réputation
La construction d'une réputation est ainsi particulièrement bénéfique pour les conducteurs minoritaires. Ils ont donc tendance à baisser leurs prix pour attirer les passagers et augmenter leurs chances d'être évalués. En outre, ils font des efforts supplémentaires pour s'assurer que les premiers commentaires soient excellents. En conséquence, ils renforcent rapidement leur réputation et atténuent le traitement discriminatoire initial. Néanmoins, l'analyse révèle que les bénéfices perdus en raison de la discrimination initiale restent importants.
Ces résultats montrent qu'un système de réputation bien conçu peut contribuer à réduire l'impact de la discrimination en ligne. La conception et la mise en œuvre des systèmes de réputation doivent donc tenir compte de leur capacité à atténuer les discriminations. En particulier, les études suggèrent que les services en ligne doivent se doter de systèmes de réputation solides et rapides. Plus vite un utilisateur peut se faire recommander, plus vite la différence de 12 % entre les utilisateurs minoritaires et les autres s'estompe.
Copyright : La tribune, article publié le 17 août 2020.