Plan Calcul de 1966, nucléaire et TGV des années 1970, les 13 « filières » et les 34 « plans industriels » d’Arnaud Montebourg en 2013, l’Etat français a régulièrement lancé des projets de politique industrielle, tout aussi régulièrement vantés pour leur réussite ou critiqués pour leur inefficacité et le « gaspillage » d’argent public dépensé. Le débat est tout aussi vif au sujet des aides publiques versées aux entreprises ou aux bassins d’emploi en difficulté.
Il est en effet difficile d’évaluer ces politiques. Comment savoir si les entreprises qui reçoivent des subventions auraient fait mieux ou moins bien sans subventions que celles qui n’en reçoivent pas ? Comment savoir si elles auraient embauché autant d’employés, fait autant d’investissements ? Il est de même pour l’évaluation des régions bénéficiaires de subventions, qui sont justement celles qui auraient connu des conditions plus difficiles en leur absence. Les subventions pourraient avoir un effet bénéfique sans forcément les rendre plus performantes que les régions qui n’avaient pas connu de difficultés. Et il ne faut surtout pas penser que c’est en demandant aux bénéficiaires qu’on pourra faire un bilan objectif des aides reçues…
Heureusement, une étude parue il y a quelques jours dans la prestigieuse American Economic Review nous permet d’estimer l’impact d’un programme britannique de soutien aux entreprises dans des régions en difficulté (« Some Causal Effects of an Industrial Policy », Chiara Criscuolo, Ralf Martin, Henry G. Overman et John Van Reenen, American Economic Review n° 109/1, janvier 2019).
L’impact positif dans les PME
Grâce à un changement des règles européennes d’éligibilité pour les régions en difficulté en l’an 2000, les auteurs ont pu identifier des zones économiques qui ont changé de catégorie. Parmi quelque 10 000 zones économiques étudiées, dont le tiers étaient éligibles avant 2000, 486 sont devenues éligibles après 2000, alors que 1 106 ont perdu leur éligibilité. Le fait de comparer les zones qui ont changé de statut à celles dont l’éligibilité est restée inchangée permet aux auteurs de tirer quatre conclusions.
La première est qu’une augmentation de 10 % du plafond de subventions à l’investissement induit une hausse d’environ 10 % de l’emploi dans le secteur manufacturier, ainsi qu’une baisse d’environ 4 % du chômage total. La deuxième conclusion est que la plus grande part de cet impact provient de la création de nouvelles activités économiques, et non, par exemple, de la délocalisation d’activités venues des zones voisines non aidées.
Ces deux premières conclusions sont donc très positives, il faut cependant les tempérer à certains égards. La troisième conclusion est que l’impact positif des subventions se situe entièrement dans les entreprises de moins de 50 employés. Or, les grandes entreprises sont celles qui reçoivent le plus de subventions, qui ne changent pas vraiment leur comportement.
On sait par ailleurs que ces grandes entreprises sont plus souvent demandeuses de subventions que les PME, grâce à leur influence politique et à leur capacité managériale à gérer les dossiers de demandes.
Quatrième conclusion, le supplément d’emplois et d’investissements constaté par les auteurs ne se traduit pas par un accroissement de la productivité. Les activités induites par les subventions ne sont pas plus innovatrices, plus efficaces ou plus productives que celles déjà existantes.
Ces deux bémols sont peut-être liés : les grandes entreprises, les plus habiles à plaider leur cause lorsqu’il s’agit de chercher des subventions, ne sont-elles pas aussi celles qui ont le plus tendance à louer de manière exagérée les bénéfices à espérer en termes d’innovation technologique et de haute productivité ?
Si cette étude réhabilite en quelque sorte la capacité de la politique industrielle à soutenir l’emploi et l’investissement, elle propose aussi une vision plus mesurée des résultats à attendre que celle vantée par la sémantique des « champions nationaux » ou européens.
Article publié dans le Monde (Copyright ©)