Interview accordée au Monde par Olivier Blanchard et Jean Tirole par Marie Charrel et Béatrice Madeline.
Comment avez-vous choisi les 26 économistes avec lesquels vous travaillerez?
Olivier Blanchard :Lorsqu'on constitue une commission de ce type, il faut choisir si on l'ouvre à la société civile ou à d'autres spécialistes, comme les sociologues. Nous avons décidé de nous en tenir à des economistes, sachant que nos travaux seront l'une des sources de réflexion parmi d'autres qu'aura le président.
Jean Tirole : Nous avons tenté de constituer une équipe équilibrée, cumulant expertise scientifique et capacité à définir des réponses concrêtes. Et ce, avec une diversité géographique -il y a huit Français, huit Européens, huit Américains -, et d'âge, en mêlant des stars montantes mais déjà mondialement reconnues, comme Emmanuel Farhi ou Stéfanie Stantcheva (tous deux à Harvard), et des profils plus expérimentés comme les Prix Nobel Paul Krugman (Princeton) et Peter Diamond (MIT), ou encore, côté français, Philippe Aghion, Laurence Boone, Daniel Cohen.
L'Elysée s'est-il engagé à suivre vos recommandations ?
J.T.:Ce rapport sera écrit en indépendance, hors de toute influence politique.Nous voulons construire une boite à idées, avec une forte dimension européenne-nous sommes ainsi allés chercher des spécialistes dans les pays voisins pour que nos reflexions se diffusent.Le président sera ensuite libre de suivre nos recommandations. C'est à nous de le convaincre.
Travaillerez-vous avec les économistes consultés par Bercy sur Ia réponse à Ia crise ?
0.B.:Nos travaux sont menés dans un esprit post-Covid, sur les questions de moyen et de long terme, qu'il ne faut pas oublier en dépit de l'urgence.
J, T.:Dans l'immédiat, le gouvernement est concentré sur la réponse à la crise sanitaire et économique.Les questions liées au chômage, à Ia dette, au pouvoir d'achat mobiliseront beaucoup ces deux prochaines années. Mais le grand danger serait d'oublier l'avenir de la France et de l'Europe. Notre rôle est de contribuer à l'amélioration des politiques de long terme, le climat, inégalites et vieillissement seront centraux.
Ne craignez-vous pas que l'on vous reproche d'être un peu coupés du terrain,de Ia réalité du debat actuel?
J. T.:Nous avons Ia faiblesse de croire dans les experts. Mais nous voulons aussi proposer des solutions concrêtes. Les auteurs des rapports et nous-mêmes partirons de I'analyse économique, mais, pour être concrets, nous ferons des recommandations qui peuvent tenir Ia route d'un point de vue politique.
Pourquoi se limiter à ces trois sujets, qui semblent plus sociétaux qu'économiques ?
J.T.:Il a fallu choisir, cela n'a pas été facile et l'on ne peut pas être totalement exhaustif. Mais ces trois thèmes permettront d'aborder de nombreuses problématiques, comme Ia mondialisation, le progrès technique et son impact sur Ia productivité et l'emploi. De même, nous ne traiterons pas spécifiquement du Covid-19 et de Ia santé, mais cela apparaitra dans les discussions auteur du vieillissement.
Les Français sont très préoccupés par le pouvoir d'achat,le chômage et l'adaptation des compétences au monde d'après.Ils pourraient juger que cela manque au programme...
0.B.:Nous n'aborderons pas Ia question du chômage à court terme, mais les évolutions sur le marché du travail à moyen terme seront au coeur de Ia réflexion du deuxième atelier. Dani Rodrik souligne qu'aujourd'hui il n'y a pas seulement un problème d'inégalité, mais aussi d'insécurité. Comment la diminuer? Nous traitons ces questions sociétales avec notre regard d'économistes.
Comment allez-vous aborder le débat qui ne manquera pas d'émerger autour de Ia fiscalité ?
0.B.:Une fois encore, nous allons y toucher au travers de chacun des thèmes. Le réchauffement climatique, par exemple, amènera la question de Ia taxe carbone pour Iaquelle les Français, on le sait, n'ont pas une grande passion.Cette question touche aussi au sujet des inégalités, puisque nous savons qu'une telle taxe a des effets de redistribution, ainsi qu'à celui du vieillissement. Ne demandons-nous pas aux jeunes d'assumer trop par rapport aux plus âgés ? Il me semble donc qu'à chaque fois les questions seront prises en compte au travers de ces trois prismes.
Compte tenu de l'envergure et de l'échéance de vos travaux, imaginez-vous qu'ils puissent constituer un socle de programme électoral?
0.B.:Ce n'est pas le but. La demande émane de l'Elysée, elle vient vraiment d'Emmanuel Macron, qui se pose la question suivante :« Quelles sont les meilleures réponses aux defis de long terme ? " C'est la raison pour laquelle il nous a demandé ce travail. Ce qu'il retiendra de nos travaux relèvera ensuite de son choix.
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