L'ignorance climatique de Trump, un calcul de court terme

27 Mars 2025 Sciences politiques

Une hausse de 1 °C de la température du globe pourrait diminuer le PIB des Etats-Unis de 10 % selon des travaux récents. Une perspective niée par le renoncement du président américain à lutter contre le changement climatique, constate Frédéric Cherbonnier.

Une certaine rationalité sous-tend-elle les décisions choquantes prises par Donald Trump ? Que penser en particulier du renoncement à la lutte contre le changement climatique, formalisé dans son décret présidentiel intitulé « Unleashing American Energy » ? On y trouve une récusation du « coût social du carbone » qui représente la valeur aujourd'hui des dommages à venir induits par l'émission de l'équivalent d'une tonne de dioxyde de carbone dans l'atmosphère. Une notion fondamentale en ce qu'elle indique à quel point des efforts doivent être engagés aujourd'hui pour prévenir le réchauffement de la planète.

L'administration Biden l'avait estimé à près de 200 dollars la tonne de CO2. Une bonne partie des énergies renouvelables permet d'éviter d'émettre du CO2, pour un coût inférieur. Les Etats-Unis avaient alors intérêt à s'engager dans la transition écologique. Le décret présidentiel efface plus de trente ans de recherche académique en considérant cette notion comme inepte et en la retirant de toute réglementation américaine.

Focalisation sur les marchés financiers

La nouvelle administration,truffée de complotistes et de climatosceptiques, fait preuve d'obscurantisme. Mais peut-on y voir une certaine logique consistant à négliger les dégâts causés au reste du monde par ses propres émissions de carbone ? De fait, seulement 10 % des dégâts induits par le réchauffement climatique sont localisés aux Etats-Unis. En ne considérant que ce coût social du carbone au niveau domestique, de l'ordre de 20 dollars, ce pays n'aurait plus intérêt à s'engager dans une lutte pour le climat. Un raisonnement égoïste mais correct, avec cependant deux fortes réserves. Tout d'abord, même dans cette optique, les Etats-Unis ont malgré tout intérêt à ce que le reste du monde émette moins de CO2. Il reste rationnel que les grands pays financent des efforts peu coûteux à travers le monde pour limiter les émissions de CO2.

Par ailleurs, les travaux récents montrent que le réchauffement climatique va causer des dégâts beaucoup plus importants que prévu jusqu'alors. Les économistes Adrien Bilal et Diego R. Känzig estiment, en tenant mieux compte des catastrophes climatiques induites par le réchauffement, qu'une hausse de 1 °C de la température du globe conduit en quelques années à une baisse du PIB des Etats-Unis de 10 % ! Ils en déduisent un coût social du carbone « domestique », ne tenant compte que des dommages affectant ce pays, de l'ordre de 220 dollars. Dans ces conditions, il ne semble pas rationnel que les Etats-Unis renoncent à lutter contre le changement climatique.

Mais une autre explication peut être avancée : une focalisation excessive sur les marchés financiers alors même que ces marchés peinent à prendre en compte correctement le risque climatique. Les Etats-Unis sont en partie devenus une oligarchie constituée de milliardaires, avec une fortune principalement constituée d'actions. En moyenne, près des trois quarts de la valeur d'une action reflètent les dividendes que l'entreprise distribuera au cours des vingt prochaines années, avant que les dégâts climatiques ne se matérialisent pleinement.

La littérature financière parvient néanmoins à observer un impact négatif et significatif des mauvaises nouvelles climatiques sur les marchés, mais il transite essentiellement par le risque d'un durcissement des politiques environnementales, pesant sur le cours des actions des entreprises les plus émettrices de carbone. Elle montre en revanche que les marchés ne tiennent pas correctement compte du risque climatique lui-même, à savoir des dégâts induits dès aujourd'hui par les températures extrêmes sur la productivité des entreprises ou dans le secteur agricole. Dès lors, pour un riche américain soucieux de préserver à court terme la valeur de ses actions, il peut sembler rationnel de pousser à l'abandon de toute politique climatique.

Article published in Les Echos on March 9, 2025

Illustration: Photo de History in HD sur Unsplash