Le 28 avril 2020, Tesla a déposé un dossier de candidature pour devenir fournisseur d’électricité au Royaume Uni. Cette initiative ne fait pas de Tesla un acteur majeur du marché de l’électricité, mais, compte tenu du dynamisme de son patron, on peut penser que ce n’est qu’un premier pas vers une stratégie de développement basée sur sa maitrise de la technologie des batteries.
Electrons verts en boîte
Pour lutter contre le dérèglement climatique, nous devons laisser sous nos pieds les sources d’énergie carbonées qui satisfont nos besoins domestiques, industriels et de transport. Les technologies de remplacement qui ont les faveurs de l’opinion publique, et donc des décideurs politiques, sont les énergies vertes, notamment l’éolien et le solaire dont les coûts de production ont fortement chuté mais qui présentent l’inconvénient majeur de l’intermittence. Comme l’homo industrialis veut que les lampes s’allument quand il en a besoin et non quand la nature y consent, la nouvelle frontière de l’industrie est le stockage. Il faudrait pouvoir placer en réserve, à faible coût, les surplus d’électricité produits par les rayons solaires trop ardents et les vents inutilement furieux pour les récupérer la nuit et par temps de bonace. Mais à ce jour c’est du domaine du rêve. Ce que les électriciens savent faire, c’est transformer l’énergie électrique en une autre forme d’énergie, (potentielle dans les stations de pompage, chimique dans les batteries, cinétique avec les volants d’inertie) pour ensuite la retransformer en énergie électrique au moment de l’utilisation. Les équipements nécessaires à cette double conversion coûtent cher, et la double conversion s’accompagne d’une importante perte d’énergie. A l’heure actuelle, le stockage d’eau par pompage en altitude reste la solution la plus performante. Mais les localisations et volumes sont limités par les conditions géographiques. L’avenir est donc aux batteries, en amont intégrées aux réseaux, en aval sur les lieux de consommation et sous le capot des véhicules. Chez les électriciens, c’est la course pour mettre au point des batteries peu volumineuses et assez légères, capable d’emmagasiner rapidement beaucoup d’énergie et de répondre pendant longtemps à d’importants appels de puissance, et tant qu’à faire, à un coût modeste.
Licence anglaise
En novembre 2017, dans sa réponse à une consultation lancée par le régulateur britannique de l’énergie (Ofgem) sur le rôle des distributeurs d’électricité dans le déploiement concurrentiel d’installations de stockage, Tesla insistait sur le fait que le stockage n’est ni de la production ni de la consommation mais un substitut au renforcement coûteux du réseau. Effectivement, le stockage n’est ni créateur ni destructeur d’énergie (en dehors des pertes imputables à tout système de conversion). Il permet seulement de transférer de l’énergie d’une date à une autre, comme un câble la transfère d’un lieu à un autre. Mais, en l’absence d’une réglementation spécifique sur le stockage, la demande déposée en avril par Tesla auprès du même Ofgem concerne une licence de production. Compte tenu de l’insistance de Tesla dans sa réponse de 2017 citée ci-dessus pour que la fourniture de services auxiliaires, notamment l’équilibrage du réseau en temps réel, soit soumise aux lois de la concurrence, il est très probable que son objectif est d’utiliser sa maitrise du stockage pour mettre un pied dans l’industrie électrique au niveau des réseaux de distribution.
Tesla Energy
Tesla est surtout connue pour ses véhicules électriques (Model S, Model 3). Mais l’entreprise possède aussi une division énergie dont les principales activités sont les panneaux solaires, les tuiles solaires, et les batteries stationnaires Powerwall (pour la maison) et Powerpack (pour les collectivités et les sites professionnels). Et en parallèle au développement des véhicules électriques, Tesla continue à déployer son réseau de bornes de recharge rapide.
Dans le domaine des réseaux de distribution d’électricité, Tesla a investi en Australie en deux temps (2017 puis 2019) dans un espace de stockage de 185 MWh et 150 MW de puissance de décharge pour compenser les aléas de la production des 99 éoliennes (capacité 315 MW) du site de Hornsdale appartenant à Neoen. Les deux tiers de la puissance de décharge sont réservés par contrat avec le gouvernement pour fournir des services système (maintenir une fréquence stable le temps que des unités de production prennent le relai). L’autre partie sert à faire de l’arbitrage sur les prix de l’électricité. Compte tenu des sautes d’humeur du vent et des fortes températures dans la région, cette activité s’est révélée très profitable pour Neoen, puisque, pendant la canicule de janvier 2018, le MWh s’est vendu jusqu’à 14 000 dollars australiens, soit 8 400 euros. Pour déclencher la décharge des batteries destinées à stabiliser le réseau, l’électronique de contrôle et de commande n’a besoin que d’informations techniques sur l’état du réseau. En revanche, pour retirer tous les gains potentiels de l’arbitrage, il faut disposer d’informations sur les prix de l’énergie et d’un logiciel jouant le rôle de trader. C’est dans ce but que Tesla a placé les batteries de Hornsdale sous le contrôle de la plateforme Autobidder.
Trader électronique
D’après Tesla, Autobidder est un logiciel basé sur l’intelligence artificielle permettant d'anticiper les prix, les pics de charge, les volumes produits et en retirer un profit, ou d’optimiser le réseau en utilisant notamment l‘apport d’électricité en provenance des particuliers. Cette plateforme permettrait de gagner de l’argent par le négoce d’énergie tout en respectant les objectifs commerciaux et les préférences en matière de risque des propriétaires et/ou exploitants des installations de stockage et d’alimentation décentralisée. L’outil est présenté par Tesla comme combinant apprentissage automatique (deep learning) et algorithmes d’optimisation.
Il est difficile d’évaluer la véritable performance financière de cette plateforme dans le brouillard d’annonces commerciales ronflantes dont l’entreprise est coutumière. Mais la performance australienne a été suffisamment convaincante pour que l’entreprise cherche à pénétrer sur le marché britannique. Plus que les batteries au lithium, technologie déjà bien maitrisée par beaucoup d’entreprises, c’est la plateforme de négociation et de contrôle en temps réel des phases de charge et de décharge qui constitue l’avancée technologique à surveiller dans la décennie qui vient.
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L’an passé, Elon Musk déclarait que la branche Energie de Tesla est appelée à croître plus vite que sa branche Automobile. Mais pour retirer des profits d’un secteur où se négocie un produit de consommation courante, il ne faut pas se positionner trop en aval. Les consommateurs peuvent être prêts à payer cher pour un véhicule reconnaissable sur la route, pas pour des panneaux photovoltaïques posés sur le toit ou une batterie installée dans la cave hors de la vue de voisins envieux. Il faut donc s’attendre plutôt à une expansion de l’activité énergie au niveau des réseaux de distribution dans la suite de l’expérience australienne : installer des batteries sur des nœuds stratégiques du réseau pour fournir des services système et en profiter pour utiliser une partie de la puissance dans un négoce d’énergie lucratif. Mais la profitabilité exige d’acheter à des prix suffisamment bas et de vendre à prix très élevé, ce qui suppose des alimentations très contrastées en énergies intermittentes selon les dates et les états de la nature. On peut donc prévoir que Tesla ne sera pas seule dans la course pour s’installer aux bons nœuds des réseaux. En organisant des enchères pour le marché du stockage dans le réseau, les gouvernements intéressés devraient pouvoir retirer quelque profit de la concurrence entre opérateurs potentiels.