Du bon usage des pénalités pour infraction aux règles de concurrence dans le secteur de l’énergie

14 Mai 2024 Energie

Le 20 mars 2024, Ofgem, le régulateur britannique du secteur de l’énergie, annonçait que des aides financières d’un montant de 4,3 millions de livres sterling provenant de pénalités pour non-respect des règles du marché allaient être distribués à 22 organisations luttant contre la pauvreté énergétique et le dérèglement climatique. Une bonne opération de relations publiques, mais très discutable en termes d’efficacité collective.

Le programme de réparation volontaire britannique

Ofgem organise depuis 2018 un système de réparation volontaire (Energy Industry Voluntary Redress Scheme) destiné à redistribuer les amendes prélevées sur les entreprises énergétiques qui ne respectent pas les conditions de leur licence d'exploitation. Dans le cadre de cette procédure, les entreprises en infraction peuvent effectuer des paiements à un Fonds en lieu et place (ou en plus) d’une sanction pécuniaire. Les bénéficiaires du Fonds sont les consommateurs d'énergie vulnérables et les développeurs de produits et services destinés à réduire l'impact de la production d’énergie sur l'environnement.

Les non-respects des licences sont variés. Ils vont de la surfacturation des clients à l’incapacité de réparer une panne consécutive à un coup de foudre, en passant par l’envoi de relevés de consommation erronés et des durées inacceptables d’attente aux centres d’appel. Les versements au Fonds se chiffrent en millions de livres sterling.

Les bénéficiaires des aides octroyées sont aussi très variés. Citons les exemples de Macmillan Cancer Support pour des programmes de lutte contre la pauvreté énergétique consécutive à un cancer, Warm and Well pour l’accompagnement de 8 200 ménages vulnérables par des conseils énergétiques, et le Research Institute for Disabled Consumers pour un travail de recherche visant à découvrir comment les consommateurs handicapés peuvent avoir un meilleur accès à l'énergie durable. Depuis la création du Fonds de réparation, plus de 500 projets ont bénéficié d'un financement de 102 millions de livres sterling.

Une enquête annuelle réalisée auprès des demandeurs d’aides fait apparaitre un degré de satisfaction élevé, tant sur le principe que sur les modalités d’attribution.

Affectation ciblée ou mise en commun des recettes

De nombreux pays appliquent le principe de non-affectation en matière de gestion des finances publiques. Ce principe interdit l'emploi d'une recette déterminée pour le financement d'une dépense déterminée. Toutes les recettes doivent être versées dans un pot commun qui alimentera l’ensemble des dépenses. En fait, comme toujours, la règle admet des exceptions. Pour n’en citer qu’une, en France l'Agence de financement des infrastructures de transport encaisse une partie du produit des « amendes radar ». En revanche, quand l’Autorité de la Concurrence prononce des sanctions pécuniaires suite à des infractions au bon fonctionnement des marchés (entente ou abus de position dominante), les recettes collectées sont versées à l’État. Elles entrent ainsi dans le budget général pour financer l’éducation, la justice, les hôpitaux, etc.

Le principe de non-affectation a l’avantage de ne pas restreindre l’usage des recettes fiscales. Il permet de verser l’argent là où les besoins sont les plus pressants. Avec un fléchage des recettes vers des dépenses spécifiques, on élimine des possibilités d’arbitrage entre bons et mauvais projets, ce qui nuit à l’efficacité collective. A contrario, verser ces recettes dans le budget de l’Etat a l’inconvénient de diluer les incitations à poursuivre les missions confiées. Néanmoins les chartes de déontologie (voir par exemple celle de l’Autorité de la concurrence), l’évolution des mentalités et les campagnes de sensibilisation élargissent le périmètre des préoccupations des agents publics. On peut donc espérer que les efforts que déploie l’Ofgem pour lutter contre le non-respect des contrats d’exploitation soient encouragés par l’utilisation sociale et environnementale qui est faite des fonds collectés. Restent les problèmes de neutralité et de compétence dans l’utilisation du Fonds. Les agents spécialisés dans la détection et l’instruction des infractions peuvent-ils objectivement et efficacement déterminer qui « mérite » de percevoir une aide financière ? L’Ofgem a résolu ce problème en confiant la gestion du Fonds à Energy Saving Trust, une organisation fondée à la suite du Sommet de Rio (1992), qui promeut l'efficacité énergétique et les énergies propres.

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Faire payer les entreprises aura toujours bonne presse, surtout si ce sont des entreprises qui ne respectent pas leurs obligations contractuelles. Lutter contre la pauvreté énergétique et contre le dérèglement climatique ne peut qu’emporter l’adhésion de l’opinion publique. Lier les deux par un principe d’affection des recettes paraît hautement vertueux. Mais comme toute politique partielle, celle-ci est plus couteuse pour la société que si la collecte et la gestion de ces fonds étaient traités de façon globale. Le Fonds de réparation britannique n’est que l’un des nombreux exemples de la divergence entre optimisation économique et arbitrages politiques en quête d’un assentiment public.

 

Publié dans La Tribune

Photo : Towfiqu barbhuiya sur Unsplash