Dans un rapport du 7 novembre 2024, la Commission de Régulation de l’Energie recommandait au gouvernement le maintien des tarifs réglementés de vente d’électricité. Quelques jours plus tard, c’était au tour de l’Autorité de la concurrence de rendre son rapport, lequel recommandait de préparer leur suppression. Comment expliquer que ces deux autorités administratives indépendantes parviennent à des conclusions aussi contradictoires ?
Les TRVE et leur régulation
Les tarifs réglementés de vente d’électricité (TRVE) sont des contrats de fourniture d’électricité dont le prix est arrêté par les pouvoirs publics, sur proposition de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE). La CRE calcule les tarifs par empilement des coûts (accès régulé à l'électricité nucléaire historique, coût du complément d'approvisionnement au prix de marché, garantie de capacité, coûts d'acheminement, coûts de commercialisation). Elle les propose au ministre de l’Économie (qui se chargera d’y ajouter les taxes) et au ministre en charge de l’énergie. Si cette proposition ne convient pas au gouvernement, il peut la rejeter et fixer lui-même le montant des TRVE.
Ces tarifs sont réservés aux ménages et aux petites entreprises. Au 30 juin 2024, plus de la moitié des 40 millions de sites de consommation (représentant un quart des quantités consommées) ont souscrit un contrat TRVE. Dans le mouvement d’ouverture à la concurrence de l’industrie électrique, les TRVE sont une survivance de l’ère du monopole intégré sous contrôle public strict. Faut-il les conserver comme le préconise la CRE ou les supprimer selon le vœu de l’Autorité de la concurrence (AC) ?
Les causes de la divergence de vues
Les arguments des deux autorités administratives indépendantes tournent autour du rôle confié aux TRVE qui doivent contribuer aux objectifs d'intérêt économique général, notamment de stabilité des prix, de sécurité de l'approvisionnement et de cohésion sociale et territoriale (article L337-9 du code de l’énergie). Pour l’AC, c’est trop demander à un tarif, d’autant que, par sa seule présence, il distord les mécanismes de concurrence sur le marché de détail et que seules EDF et les entreprises locales de distribution sont autorisées à le proposer. L’AC considère que les prix de l’électricité dans un environnement concurrentiel doivent simplement refléter les coûts de production, d’acheminement et de commercialisation pour inciter les consommateurs à éviter les périodes de pointe et à acquérir des équipements permettant d’économiser l’énergie. Pour ce qui est des objectifs d'intérêt économique général, l’Etat dispose de nombreux outils financiers et fiscaux de redistribution bien plus efficaces qu’un tarif uniforme qui déresponsabilise les consommateurs dans leurs décisions de consommation et d’investissement. Dans son argumentaire, l’AC invoque aussi la directive 2019/944 dont l’article 5.6 stipule que les États membres peuvent mettre en œuvre des interventions publiques dans la fixation des prix pour la fourniture d'électricité aux clients résidentiels et aux microentreprises, mais pour une période transitoire permettant d'établir une concurrence effective entre les fournisseurs … et de parvenir à une fixation pleinement effective des prix de détail de l'électricité fondée sur le marché.
En défense des TRVE, la CRE adopte le point de vue des associations de consommateurs qui privilégient la protection contre la volatilité des marchés et apprécient le fait qu’il existe un repère « officiel » pour estimer l’intérêt relatif des offres commerciales. Elle va aussi dans le sens des autorités européennes qui, tirant les leçons de la crise de l’énergie 2021-2022, demandent aux Etats membres de permettre aux consommateurs de rendre leurs factures énergétiques abordables et moins dépendantes des fluctuations de prix sur le marché à court terme de l'électricité. (Règlement européen 2024/1747)
Domaines d’intervention
Pour comprendre la divergence de points de vue des deux autorités, il n’est pas inutile de prendre aussi en compte ce que chacune des administrations va gagner ou perdre dans une éventuelle réforme des tarifs de détail de l’électricité.
Supprimer les TRVE dont l’élaboration incombe à la CRE c’est réduire son domaine d’intervention. Et dès lors que tous les contrats de fourniture aux petits consommateurs deviennent des contrats commerciaux, c’est élargir le champ d’intervention de l’AC. Les prises de position des deux autorités administratives indépendantes sont donc à la fois bien dans leur champ de compétence (défendre la concurrence pour l’une, éviter les soubresauts du commerce de détail pour l’autre) mais aussi dans leur intérêt respectif pour l’attribution de ressources financières et humaines destinées à leur fonctionnement. Chacune prêche pour sa paroisse.
Compte tenu de l’élargissement des usages de l’électricité au logement et au transport, de notre manque de rationalité économique pour décider de nos consommations d’électricité face à des prix de gros perpétuellement changeants, et de la faible appétence des Français pour les mécanismes concurrentiels, il est probable que les TRVE continueront à avoir l’agrément du gouvernement. Ils ont l’avantage d’exister et sont souscrits par près de 60% des sites résidentiels, c’est-à-dire un nombre trop important d’électeurs pour que le gouvernement envisage de supprimer ces tarifs. Mais il reste une étape importante à franchir : obtenir le feu vert de Bruxelles pour les cinq prochaines années.