Les petits réacteurs modulaires font l’objet d’une intense recherche dans tous les pays industrialisés. Pour leurs partisans, ils sont la clef de la réussite de la transition écologique. Pour leurs détracteurs, ce n’est qu’une mauvaise réponse : rien ne vaut les énergies renouvelables. Comme toujours, aucun n’a complètement tort et aucun n’a totalement raison. Les petits réacteurs modulaires vont trouver leur place dans le bouquet énergétique, associés aux autres technologies non émettrices de gaz à effet de serre.
Grande échelle et petite échelle
Pour décarboner nos économies, nous devons généraliser l’usage de l’électricité dans l’industrie, les services, le logement et le transport. Encore faut-il que l’électricité soit produite avec des technologies non émettrices de CO2 et capables de répondre aux besoins d’énergie en temps réel. Les énergies éolienne et solaire satisfont la première condition, mais pas la seconde car elles sont dépendantes de la météo et de cycles diurne et saisonnier. Leur couplage avec des unités de stockage est réalisable techniquement mais à un coût prohibitif compte tenu des besoins à satisfaire, notamment en hiver. Les réacteurs nucléaires conventionnels, d’une puissance supérieure au gigawatt électrique, n'émettent pas de gaz à effet de serre mais manquent de souplesse, nécessitent des capitaux considérables et rencontrent des difficultés spécifiques sur leur site de construction. Pour contourner ces écueils, depuis une dizaine d’années on observe un engouement pour les « petits réacteurs modulaires » (couramment appelés SMR, pour Small Modular Reactors), d’une puissance comprise entre 10 et 300 mégawatts électriques. Comme ils sont de petite taille, ils ne peuvent pas bénéficier individuellement des économies d’échelle observées dans les grands réacteurs, c’est à dire d’un coût moyen de production du MWh d’autant plus faible que la production est grande. Mais les SMR présentent quelques avantages, en particulier la modularisation (fabrication séparée des composants, qui sont ensuite transportés et assemblés sur le site d’exploitation), la simplification (haut degré de sécurité passive) et la standardisation (gains d’apprentissage). On peut y ajouter une plus grande qualité des pièces assemblées, donc moins de risques, puisque la fabrication se fait dans des espaces clos contrôlés. Mais ces avantages ne sont encore que potentiels car, à ce jour, il n’existe aucune installation suffisamment développée pour confirmer les attentes.
Course à l’innovation
De fait, cette industrie est loin d’être mature. D’après l’Agence Internationale de l’Energie Atomique, on compterait près de 80 concepts de SMR en phase de développement, distincts selon le combustible utilisé, le mode de refroidissement, le degré de modularisation, le nombre d’unités installées sur un site, sans oublier leur mobilité (certains SMR peuvent être installés sur une barge).
Certes la pluralité crée de l’émulation, mais elle crée aussi de l’inefficacité puisque la duplication des efforts de Recherche-Développement conduit à des dépenses qui déboucheront sur un échec industriel ou commercial de la plupart des concurrents : dans une course au brevet, seul le premier emporte la mise. Bien sûr il peut ensuite concéder des licences à ses concurrents malheureux, mais ces concessions se feront au mieux de ses intérêts privés et non de l’intérêt collectif. Une coordination par les pouvoirs publics peut donc être souhaitable, d’autant que la synchronisation des efforts individuels peut accélérer la mise au point de l’innovation, à condition bien sûr de ne pas coordonner dans une mauvaise direction.
Politique industrielle
Compte tenu de l’enjeu, il n’est pas étonnant de voir les pouvoirs publics se saisir du dossier. Aux USA, le ministère de l'énergie (DOE) a annoncé un financement de 900 millions de dollars pour soutenir les premiers déploiements de petits réacteurs modulaires de génération III+. Le souhait du Parlement européen « pour que l’Union maintienne sa primauté technologique dans la course mondiale à la suprématie sur le futur marché des SMR » trouve une réponse avec la création d’une Alliance industrielle européenne pour les petits réacteurs modulaires dont l’objectif est d’accélérer le développement, la démonstration et le déploiement des premiers projets de SMR en Europe au début de la prochaine décennie. L’Alliance se superpose aux éventuels programmes nationaux comme celui élaboré en France, et aux partenariats noués entre industriels. Elle associe industriels, financiers, pouvoirs publics, régulateurs, centres de formation et utilisateurs potentiels, notamment les producteurs d’hydrogène et les industries électro-intensives. Parmi les tâches qui lui sont assignées, on trouve l’identification des technologies les plus prometteuses et offrant les meilleures conditions de sécurité. Ces technologies seront alors soutenues en priorité par des financements publics, ce qui devrait permettre d’éviter les duplications inutiles.
Lors de l’assemblée générale de l’Alliance qui s’est tenue les 29 et 30 mai 2024, les participants ont défini les prochaines étapes de leurs travaux et nommé les entreprises européennes à la présidence de huit groupes de travail. Les thèmes vont de l’application industrielle (groupe 1) aux financements (groupe 8) en passant notamment par les cycles du combustible et la gestion des déchets (groupe 7), sujet très sensible susceptible de provoquer des réactions de rejet dans l’opinion publique. On devrait commencer à y voir plus clair sur les priorités dès l’automne, mais il faudra attendre le 1er trimestre 2025 pour disposer d’un plan d’action général. Il ne sera pas facile de passer à travers tous les obstacles des procédures bruxelloises sans trop retarder le programme.