Est-il pertinent d'investir dans des interconnexions si coûteuses ?
Oui, car le transport de l'électricité est devenu un enjeu européen. Avec le développement de parcs de production électrique très différents d'un pays à l'autre, il y a un vrai intérêt économique à bien intégrer les marchés entre eux. On le voit avec l'essor des énergies renouvelables intermittentes : lorsqu'il y a beaucoup de vent en Allemagne, où l'éolien est très développé, il est important que le réseau lui permette d'exporter sa production d'électricité. On ne peut plus raisonner marché par marché.
Cela dit, compte tenu des contraintes environnementales incontournables aujourd'hui, ces interconnexions sont effectivement très chères. On ne pourra donc pas les multiplier. En outre, elles nécessitent énormément de coordination entre les pays dans l'exploitation des réseaux, la planification, l'entretien. C'est complexe et long à mettre en place. Il y a encore beaucoup à faire sur ce point.
Ces liaisons transfrontalières doivent-elles être régulées et comment ?
La grande majorité des interconnexions européennes est régulée, ce qui permet en théorie de les dimensionner correctement. Dans un système marchand, les opérateurs se rémunèrent sur la différence de prix de l'électricité entre les deux pays concernés : ils peuvent avoir tendance à sous-dimensionner les lignes pour maximiser leur profit.
Cette régulation doit se situer au niveau européen. Il est impossible de laisser chaque pays décider, car chacun a des intérêts divergents. Aujourd'hui, il y a un plan sur quarante ans proposé par l'Entsoe, l'association des transporteurs d'électricité européens, qui va dans la bonne direction, même si l'harmonisation et la coopération pourraient aller plus vite.
Bruxelles préconise une augmentation de 15 % des interconnexions : ce chiffre n'est pas idiot pris globalement, mais, dans la réalité, tout dépend des pays et des énergies. Par exemple, on peut souhaiter utiliser les barrages scandinaves pour stocker l'électricité produite par les éoliennes allemandes : dans ce cas, l'interconnexion nécessaire peut être supérieure à 15 %.
Le développement des interconnexions aura-t-il pour effet d'harmoniser les prix de marché de l'électricité en Europe ?
Pour être bien dimensionnées, les interconnexions doivent maintenir une congestion à certains moments. Un peu comme les autoroutes. C'est une question d'équilibre entre le coût de la congestion et celui de la construction d'une nouvelle ligne. Dans ces conditions, les prix ne s'alignent pas totalement, il est souvent moins cher de maintenir une différence entre les pays. Mais une bonne coordination pourra réduire cette différence : il s'agit finalement de remplacer les pylônes et les câbles par des logiciels !
Lire l'interview sur Les Echos.