Coup de tonnerre dans le monde de l'entreprise ? La loi Pactes'apprête à réécrire deux articles du Code civil, quasi inchangés depuis 1804, afin que l'objet d'une société soit moins réductible à la seule quête du profit.
« Constituée dans l'intérêt commun des associés », celle-ci aura désormais également l'« obligation de gérer en considération des enjeux sociaux et environnementaux » et pourra inscrire dans ses statuts une « raison d'être ». Est-ce vraiment une révolution ? Pas vraiment, selon l'étude d'impact qui accompagne la loi.
Ce changement induit une obligation de moyen, pas de résultat, avec un risque juridique quasi nul. La loi ne modifie pas l'article qui dispose qu'une société vise à un partage de bénéfices entre ceux qui l'ont instituée sans évoquer les autres parties prenantes telles que salariés et consommateurs. Mais il s'agit bien d'une première : la RSE ou « responsabilité sociétale des entreprises » apparaîtra dans cet article essentiel de notre Code civil !
Une doctrine subversive
Pour les économistes, cette notion de RSE est en grande partie un leurre, voire, comme l'écrivait en 1970 Milton Friedman, une doctrine « fondamentalement subversive » : il vaut mieux se concentrer sur les règles qui encadrent une entreprise plutôt que de s'imaginer naïvement qu'elle pourrait faire preuve d'altruisme et s'écarter par elle-même d'un pur objectif de profit.
Pour autant, on voit fleurir des indices mesurant le comportement des entreprises en la matière, permettant à des fonds « socialement responsables » d'y investir - nombres d'études académiques montrant un lien entre la valorisation des entreprises et ces notations.
Mais rien n'indique un comportement altruiste, la motivation sous-jacente semble bien rester le profit, apparaître vertueux aux yeux des consommateurs permet d'abord de renforcer ses parts de marché. L'impact véritable dépend de la qualité des informations transmises. Les économistes Kim Eun-Hee et Thomas P. Lyon ont analysé les effets d'une loi américaine permettant aux entreprises de rendre publics des efforts en matière de réduction d'émissions de gaz à effet de serre (*) : les compagnies qui ont affiché de tels efforts étaient celles qui polluaient de plus en plus, il s'agissait d'« éco-blanchiment » ou « greenwashing », procédé visant à donner une image positive mais trompeuse d'une entreprise !
Une bonne chose à prendre
Une étude récente interroge directement le lien entre notre Code civil et le comportement social et environnemental des entreprises. Elle s'inscrit dans une littérature qui tend à montrer que la « common law » anglo-saxonne, avec la jurisprudence comme principale source du droit, est plus efficace sur le plan économique que notre code hérité du droit latin. Mais la conclusion des économistes Hao Liang et Luc Renneboog (*) est pour une fois à notre avantage : les entreprises soumises au droit de tradition « civiliste » ont de meilleures notations RSE et se remettent plus en cause lors de catastrophes sanitaires et environnementales.
Un droit codifié exercerait une pression plus forte sur les entreprises, car il fixe des règles a priori qui ne dépendent pas de l'interprétation d'un juge que l'on pense pouvoir convaincre par la voie de la plaidoirie, ou par crainte que le législateur fasse évoluer la règle sous la pression des événements. L'apparition progressive dans notre Code civil de la notion de responsabilité sociétale de l'entreprise, même en apparence sans conséquence juridique immédiate, pourrait bien infléchir à terme les comportements dans la bonne direction.
Qu'en conclure ? La mise en place de normes contraignantes et d'incitations financières reste la meilleure façon de protéger tant les individus que la planète, mais cette inscription de la RSE dans le Code civil reste une bonne chose à prendre à une époque où les Etats sont incapables de mettre en place l'encadrement nécessaire à la lutte contre le réchauffement climatique, face à des multinationales qui peuvent se jouer des régulations nationales et restent sensibles à la pression de l'opinion publique.