Les capacités "non cognitives", notamment la capacité à coopérer, contrôler ses émotions et socialiser, sont les grandes oubliées du "choc des savoirs" proposé par le ministre de l'Education nationale, Gabriel Attal.
Beaucoup de choses ont été dites sur le décrochage éducatif français et la réaction du gouvernement au travers du plan Attal. Mais la question de l'approche éducative est à peine abordée dans ce débat - en dehors des mathématiques avec (enfin) le recours à la méthode dite "de Singapour", synthèse des pratiques pédagogiques efficaces identifiées dans le passé par les travaux de nombreux chercheurs.
Les mots retenus sont à cet égard révélateurs: il s'agit d'un choc des savoirs et, plus précisément si l'on suit le discours du ministre, de se concentrer sur les savoirs fondamentaux: langues vivantes, mathématiques, culture générale.
Des capacités essentielles
Or, l'éducation ne se réduit pas à cela; les capacités d'un individu ne se limitent pas à des capacités cognitives mesurées par de simples tests de QI. D'autres aptitudes sont essentielles au développement d'un enfant, à son avenir d'adulte: les capacités "non cognitives", notamment la capacité à coopérer, contrôler ses émotions et socialiser, ainsi que la croyance en sa capacité à être le maître de sa vie ("locus of control", en anglais).
Le Nobel d'économie James Heckman a mené toute une série de travaux dans les années 2010 tendant à montrer que ces aptitudes sont déterminantes pour le devenir d'un individu.
Selon un autre Nobel d'économie, Gary Becker, elles seraient également le principal facteur explicatif du "gender college gap reversal" (inversion du fossé entre les sexes dans l'enseignement supérieur) observé aux Etats-Unis depuis les années 1990, à savoir que les femmes sont désormais plus qualifiées que les hommes - c'est également le cas en France où 55 % des jeunes femmes sont diplômées de l'enseignement supérieur contre à peine 45 % des jeunes hommes.
Lors des évaluations de ces compétences, les scores des garçons sont moins bons en moyenne et surtout plus dispersés - avec davantage d'enfants présentant un très mauvais score. Sans doute est-ce la pression sociale sur les filles qui conduit celles-ci à acquérir plus d'autonomie et de capacité à socialiser.
La France à la traîne
Du côté de la France, selon un rapport récent des économistes Maria Guadalupe et Bryan Ng, pour le Conseil d'analyse économique, la France est à la traîne des pays développés, tant au niveau des enfants que des adultes, en ce qui concerne le développement de ces compétences socio-comportementales. Et ce rapport montre qu'elles sont déterminantes pour un nombre croissant d'emplois, avec un effet direct en termes de gains de productivité et de rémunérations.
Que faire? La réforme annoncée par le ministre concerne le collège. Les travaux académiques montrent qu'il faut s'attaquer très tôt, dès le primaire, à l'acquisition des compétences non cognitives, mais qu'agir plus tard est aussi efficace.
Plusieurs expérimentations évaluant des programmes ciblés sur des jeunes de milieux défavorisés montrent toute l'utilité de telles interventions, par exemple le programme mis en place en France par l'association Energies jeunes.
Pédagogies dites "actives"
Comment généraliser? Une piste retient naturellement l'attention: les pédagogies dites "actives" qui rendent l'élève acteur de ses apprentissages. Une métaanalyse récente indique en outre qu'elles ont un effet très positif sur l'acquisition des savoirs fondamentaux. Faut-il basculer dans des méthodes un peu alternatives et très spécifiques, comme les pédagogies Freinet ou Montessori, ou simplement mettre en place certaines approches type "active learning" identifiées par les spécialistes? Si l'on cherche le projet pédagogique de l'école publique française, on trouve des documents d'une grande vacuité, sans la moindre mention des notions évoquées ici. Ce sujet ne doit plus rester tabou, ni être délégué au bon vouloir des instituteurs, il lui faut trouver sa place au centre des priorités du ministère de l'Education nationale, dans les programmes de formation des enseignants et lors des évaluations des politiques éducatives.
Article paru dans Les Echos le 14 décembre 2023
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