L'épargne salariale constitue un véritable « marronnier politique ». Un an après avoir favorisé ce dispositif via un allégement de cotisations sociales, le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, propose de le soutenir davantage . Certes, lier rémunération et performance permet de motiver les employés. Cela peut se faire via la « participation » en fonction du bénéfice de l'entreprise, ou à travers l'« intéressement » selon des critères plus spécifiques à définir par l'employeur. Depuis les années 1990, les études tendent à confirmer que ces dispositifs rehaussent la productivité mais cela ne justifie pas que l'Etat s'en mêle. Les chefs d'entreprise sont assez grands pour décider qu'il est opportun de les mettre en place dès lors que cela leur est profitable !
Modération salariale
L'épargne salariale semble aussi bénécier aux salariés, mais ce n'est pas toujours le cas.Une étude récente de Noélie Delahaie et Richard Duhautois sur l'économie française montre que ces formes de bonus viennent se substituer aux salaires : sur la période 2000-2007, l'intéressement aurait été compensé par de la modération salariale, sans effet à terme sur la rémunération totale des employés. Cela peut même fragiliser leur patrimoine financier. Les sommes issues de l'intéressement et de la participation peuvent être versées sur un plan d'épargne entreprise, le salarié étant incité à investir dans des actions de sa propre entreprise. Or, selon l'adage bien connu, il ne faut pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. Un portefeuille financier voit sa valeur équivalente fortement baisser dès lors qu'on en investit une fraction supérieure à 10-15 % sur un seul titre, selon des estimations réalisées par le Prix Nobel Harry Markowitz. Et, lorsque ce titre est celui de sa propre entreprise, le salarié risque à la fois de perdre son épargne et son emploi quand celle-ci est confrontée à de graves difcultés. Pour autant, le ministre annonce vouloir renforcer fortement cet actionnariat salarié.
Optimisation fiscale
Seul argument pouvant justifier une intervention publique : ces dispositifs soutiendraient à terme l'emploi. L'économiste Martin Weitzman explique dans son livre « The Share Economy » (1984) qu'un simple partage d'une part des bénéfices de l'entreprise entre salariés ne vient pas accroître le coût de recrutement. En revanche, cela permet de flexibiliser les rémunérations et, infine, de réhausser l'emploi dans l'entreprise. Les travaux empiriques ne confirment hélas pas toujours cette intuition, notamment en France. Cela résulte sans doute de ce que les formules de calcul de l'intéressement et de la participation ne correspondent pas à un tel partage des profits, mais s'apparentent plus à un système de bonification complexe développé en partie à des fins d'optimisation fiscale.
L'intervention paternaliste des pouvoirs publics en faveur de l'épargne salariale se traduira cette année par une perte d'impôt de près de 1,5 milliard d'euros et autant en perte de recette pour les caisses sociales. Il est choquant de dépenser de telles sommes sans véritable justification - nous sommes quasi les seuls à en faire autant, les autres pays se limitant pour la plupart à un simple différé d'imposition. Et il serait vain de chercher ainsi un meilleur partage des richesses entre actionnaires et employés, en rendant ces derniers en partie propriétaire de leur entreprise, dès lors que la France est l'un des rares pays où les salariés ont continué à en capter une part relativement stable.
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