Notre système éducatif est l'un des pires de l'OCDE en matière de discrimination, ce qui nous laisse une belle marge de progression.
Lutter contre la ségrégation scolaire est devenu un enjeu pour les pays développés. Selon une étude récente, 40 % de la croissance américaine par habitant entre 1960 et 2010 s'explique par un meilleur accès aux métiers qualifiés: près de 94 % des juristes et doctorants étaient en début de période des hommes blancs, ils n'étaient plus que 62 % en 2010. Résultat d'une baisse de la discrimination à l'embauche, d'une réduction des inégalités d'accès à l'éducation, d'un moindre déterminisme social. Selon l'économiste R. J. Gordon, le système éducatif américain atteint ses limites et ne progresse plus en ce sens, ce qui va peser durablement sur la croissance.
En France, avec un peu de cynisme, cet argument peut être renversé: notre système éducatif est l'un des pires de l'OCDE en matière de discrimination, ce qui nous laisse une belle marge de progression.
Répartir les élèves
Le problème ne réside pas dans des discriminations de genre, ou à l'encontre des personnes à ascendance migratoire, mais dans le retard des élèves issus d'un milieu défavorisé: la France est l'un des pays de l'OCDE où le lien entre statut socio-économique et performance est le plus fort. La réponse à ce problème est loin d'être évidente. Parmi les questions qu'il soulève, comment répartir les élèves à travers les établissements scolaires et en leur sein? Faut-il les rassembler par niveau pour mieux adapter la pédagogie ou au contraire les mélanger de façon à permettre une forme d'émulation.
Des approches opposées sont mises en place à travers le monde. Certains districts londoniens pratiquent le système du "banding" visant à obtenir dans chaque établissement la même proportion de bons et mauvais élèves. En revanche, au sein des établissements, la plupart des pays anglo-saxons pratiquent le système du "tracking" consistant à répartir les élèves par classes de niveau.
Une crainte légitime est que cela ne pénalise les élèves issus de catégories modestes. Mais aucune étude n'apporte de réponse claire. Tout au plus sait-on que répartir tôt les élèves par filières de formation plus ou moins professionnelle aggrave les inégalités. En revanche, les répartir par niveau au sein d'un même établissement pourrait bénéficier à tous les élèves, y compris les plus faibles, d'après une étude reposant sur des données américaines.
En France, la carte scolaire a longtemps pénalisé les catégories modestes et induit une stratification sociale et spatiale, avec des prix du logement plus élevés pour les habitations proches de lycées et collèges réputés. La procédure Affelnet mise en place à la fin des années 2000 utilisait principalement la proximité géographique et les résultats scolaires pour répartir les élèves. La réforme engagée depuis 2021 à Paris accorde aux élèves issus d'un collège défavorisé un bonus social pour leur permettre d'intégrer un meilleur lycée. Les évaluations de cette réforme montrent une baisse de la ségrégation sociale au sein des lycées publics.
Mais l'affectation tiendrait peu compte du niveau scolaire et pénaliserait les élèves situés dans les bons collèges (qui par définition ne bénéficient pas du bonus social), ce qui risque de pousser plus de familles aisées à se tourner vers le privé, induisant encore davantage de ségrégation scolaire. Le gouvernement doit éviter que les effets de cette réforme soient aussi contreproductifs, et aller plus loin en renforçant les ressources sur les établissements défavorisés sans faire l'impasse sur la question de l'enseignement privé.
Article paru dans Les Echos le 12 novembre 2023.
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