Un droit carbone significatif pour corriger les échecs de Charm el-Cheick
Ma réponse à la question d’Alexandre Shields (le Devoir 5 novembre) "Pourquoi est-il si difficile de lutter contre le réchauffement cliamtique?": parce que de bonnes politiques sont poursuivies en utilisant les mauvais outils.
La COP27, la conférence sur le changement climatique qui réunira des représentants des chefs d'État et de gouvernement à Charm el-Cheikh, en Égypte, se terminera par un échec, un énième d'une série d'échecs dont Paris (2015), Katowice (2017), Madrid (2019 ) et Glasgow (2021). Des engagements à la fois ambitieux et grandioses seront pris pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici 2030 et 2050, mais ne seront pas tenus. Pourquoi? Parce que de bonnes politiques sont poursuivies en utilisant les mauvais outils. Greta Thunberg semble désormais adopter cette position: "S'exprimant lors du London Literature Festival où elle faisait la promotion de son nouveau livre, la militante de 19 ans a rejeté le prochain sommet sur le climat comme une opportunité pour les puissants ... d’écoblanchir, de mentir et de tricher" (Lottie Limb, Reuters, 31/10/2022; ma traduction).
Plutôt que de discuter d'un prix significatif et universel sur les émissions de carbone, à percevoir en conjonction avec des tarifs compensatoires Réglementés par l'Organisation Mondiale du Commerce sur les importations en provenance de pays non conformes, les dirigeants et militants préfèrent une approche dirigiste, flattant quiconque défile sous un bannière environnementale, pontifiant des interdictions bon-enfant, subventionnant quiconque a un poids politique, et préconisant parfois une taxe carbone édentée.
C'est inefficace et ne résout rien, mais cela permet à certains dirigeants et militants de recueillir des applaudissements, de couper des rubans, de se plaindre, et d’éviter pour les élus la malédiction de Juncker "nous savons tous quoi faire, nous ne savons tout simplement pas comment nous faire réélire le cas échéant" https://www.economist.com/special-report/2007/03/17/the-quest-for-prospe....
Il peut être utile de rappeler que l'analyse économique est une composante importante de la protection de l'environnement. Il est faux et trompeur d'opposer environnement et économie. Dans de nombreux cas, les économistes sont des défenseurs crédibles de l'environnement. En effet, ils sont avant tout des experts de l'efficacité des systèmes et instruments, qu'il s’agisse de production, de consommation, de politiques publiques, d'investissement ou de protection de l'environnement.
Pour les économistes, les problèmes de protection de l'environnement sont imputables à l'absence de prix de marché pertinents, une absence entrainant une tragédie des biens communs en incitant chaque utilisateur de ressources environnementales à en abuser. Depuis plus de 30 ans, il y a eu un large consensus parmi les économistes sur le fait que le meilleur outil pour réduire les émissions de gaz à effet de serre est un droit-carbone ou prélèvement-carbone, qui n’est pas une taxe mais un prix.
En corrigeant une défaillance de marché bien connue, un droit-carbone envoie un signal prix puissant qui peut orienter les agents économiques (consommateurs, producteurs, investisseurs) vers un avenir bas-carbone: innovation technologique et développement d’infrastructures pro-environnement, transition énergétique et production, distribution et consommation de biens et services à faible émission de carbone.
Le droit-carbone devrait augmenter chaque année pour favoriser un ajustement graduel et durable, jusqu'à l’atteinte des objectifs de réduction des émissions. Les meilleures études disponibles suggèrent des augmentations réelles annuelles de 5%, passant par exemple de 200 dollars par tonne de CO2 en 2022 à 300 dollars en 2030 (en dollars de 2022).
Afin de prévenir les fuites carbone, protéger la compétitivité des nations et promouvoir une large adhésion citoyenne, le système d'ajustement carbone aux frontières devrait s’accompagner d’une redistribution aux citoyens des recettes gouvernementales engendrées, éventuellement à parts égales, contribuant ainsi de manière significative à protéger les groupes à faible revenu tout en maintenant les incitations à s'adapter.
Il ne serait plus nécessaire de définir de grands plans gouvernementaux remplis de réglementations et interdictions moralisatrices et de projets dadas de toutes sortes, ni d'imposer aux entreprises un ensemble de mesures ESG mal définies et manipulables, une imposture qui peut consommer d’importantes ressources de gestion sans générer de bénéfices mesurables.
Un exemple d'actions motivées par de bonnes intentions mais analytiquement mal-fondées est l'annulation du pipeline Keystone XL par le président américain Joe Biden en janvier 2020. Contrairement à la mise en place d'un véritable droit-carbone, l'arrêt du pipeline Keystone XL n'aura aucun effet sur la consommation de combustibles fossiles. La critique exprimée par le premier ministre albertain de l'époque, Jason Kenney, pro-pipeline et anti-droit-carbone, est tout aussi mal-avisée. La bonne combinaison de politiques : mettre en œuvre un droit-carbone soignificatif et laisser les pipelines se développer le cas échéant.
Même s'il est sans doute déjà trop tard pour la COP27 à Charm el-Cheikh, on peut espérer que les leaders et militants climatiques accorderont un jour plus d'attention au message des économistes et se consacreront à la détermination d'un droit-carbone universel et généralisé, sous l'égide des grands acteurs du changement climatique que sont les États-Unis, l'Union européenne et le BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine). Les négociations seront ardues et exigeantes et l’acceptabilité sociale exigera éducation et informations, mais plus faciles que de mettre en œuvre une pléthore de "Grands Plans" nationaux.
Article publié le 10 novembre 2022 dans Le Devoir
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