A l’aide des données du marché norvégien, nous avons essayé de comprendre les effets de ces pratiques sur l’industrie, voici nos principales conclusions. Les différences de prix des médicaments entre les pays peuvent atteindre 300 % en Europe, en raison de plafonds réglementaires ou de règles gouvernementales strictes en matière de fixation des prix. Ces différences de prix créent des possibilités d’importations parallèles.
Pour les médicaments sous brevet, le commerce parallèle affecte le partage des bénéfices entre une société pharmaceutique innovante, les détaillants et les commerçants parallèles. Dans une nouvelle étude, nous montrons que, dans un pays qui ne réglemente pas les marges des pharmacies, les incitations à négocier des prix de gros plus bas jouent un rôle important pour favoriser la pénétration du commerce parallèle et que l’interdiction des importations parallèles profiterait aux fabricants.
Un système qui pénalise les pays pauvres
Les remboursements au patient ne dépendant pas de l’origine du médicament, car il n’y a pas de différence de prix entre les médicaments locaux et ceux issus de la vente parallèle. Ce commerce ne bénéficie donc pas aux consommateurs, mais ce sont les pharmacies et entreprises d’import-export qui sont les principales bénéficiaires de ce type de commerce, au détriment des fabricants de médicaments. Les entreprises qui s’occupent d’importer les médicaments proposent des prix plus bas que ceux des producteurs mais, dans les pays où des chaînes de pharmacies ont une très grande part de marché, la majorité des bénéfices atterrissent dans les caisses des pharmacies qui n’ont pas de raison de répercuter cette différence de prix au niveau des consommateurs.
Ce bénéfice est d’autant plus élevé pour les pharmacies que ces prix d’achat avantageux leur permettent de mieux négocier avec les fabricants et de faire baisser les prix de gros, menaçant de se tourner sinon vers ces médicaments importés. Tous ces effets sont relativement négatifs dans la mesure où ils encouragent les fabricants de médicaments à ne pas adapter leurs prix aux différents marchés, privant ainsi potentiellement les pays les plus pauvres de certains produits.
Une menace pour la capacité d’innovation
Les importations parallèles créent un approvisionnement alternatif en amont pour les pharmaciens, ce qui peut avoir des implications importantes pour la distribution des profits sur le marché. Dans le cas des médicaments sous brevet, les droits de monopole du fabricant lui permettent de dégager des bénéfices élevés afin de financer les frais de recherche et développement.
Des recherches antérieures ont montré que l’innovation est effectivement incitée par cette espérance de récompense, et on peut donc en conclure que le développement de la vente parallèle de médicaments pourrait menacer, à terme, la capacité d’innovation des fabricants. Par exemple, sur le marché du Lipitor (breveté et commercialisé par Pfizer entre 2004 et 2007), nos travaux montrent que le bénéfice du fabricant aurait doublé en Norvège (+ 104 %) en l’absence de commerce parallèle.
Une possible baisse des dépenses de santé
Notre étude montre qu’une interdiction du commerce parallèle augmenterait substantiellement le bénéfice des fabricants, tout en entraînant une baisse des prix dans les pays sources comme la France. Le commerce parallèle entraîne donc des dépenses de santé plus élevées dans ces pays.
Nous montrons également qu’une baisse des prix de remboursement de 20 % dans certains pays, dont la Norvège par exemple, entraînerait mécaniquement une lourde chute du commerce parallèle et que cette différence serait majoritairement supportée par les pharmaciens et les entreprises de commerce parallèle. Le fabricant ne perdrait qu’une faible part de bénéfices, et les dépenses de santé du pays baisseraient de fait significativement. En compensant cette baisse des dépenses par des subventions fixes aux entreprises innovantes, l’Etat pourrait débourser moins tout en incitant à plus d’innovation.
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