La polémique lancée par François Fillon autour du rôle des mutuelles est révélatrice de la situation inextricable dans laquelle se trouve le financement de notre système de santé. Chaque remboursement est traité par deux opérateurs - assurance publique puis complémentaires privées - selon des taux dépendants de la classe de médicaments et du type d'affection.
Cette complexité excessive se traduit par des coûts élevés et des inégalités d'accès. La part des assurés sociaux déclarant en 2012 avoir renoncé à des soins était respectivement de 5 %, 10 % et 17.7 %, selon que l'on considère la simple consultation d'un médecin, les frais d'optique ou les soins dentaires. Près de 1 % de la population supporte des frais supérieurs à 3.000 euros/an avant assurance complémentaire, alors qu'une fraction significative des assurés n'en est pas pourvue.
Un système bien connu
Pourtant, les principes d'une couverture assurantielle de la santé sont bien connus. On peut les résumer en trois points : laisser un petit reste à charge au patient via une franchise ou un ticket modérateur, fixer un niveau de dépense au-dessus duquel tout est pris en charge par l'assureur, et encadrer cela fortement par les pouvoirs publics. Une expérience réalisée par la Rand Corporation dans les années 1970 sur près de 6.000 Américains a confirmé que l'absence de reste à charge conduit à un surcroît de dépenses sans impact notable sur la santé. Par ailleurs, on sait depuis les travaux de Kenneth Arrow en 1963 qu'un système assurantiel doit idéalement couvrir tout à partir d'un certain seuil, afin de protéger pleinement contre les risques élevés.
Enfin, l'Etat se doit d'intervenir à la fois pour garantir l'accès aux plus pauvres, mais également afin d'éviter un effet pernicieux de la concurrence. En pratique, chaque assureur va chercher à capter la clientèle peu risquée, en espérant laisser à d'autres les usagers en mauvaise santé. Ces comportements entraînent une diminution de la couverture santé, et une éviction de catégories entières de la population. In fine, deux solutions sont envisageables : un système entièrement public (Royaume-Uni) ou des assureurs privés fortement régulés (Allemagne, Pays-Bas, Suisse) - avec des contrats encadrés par l'Etat et l'interdiction de refuser d'assurer un patient.
Proposition incomplète et maladroite
La solution retenue en France est donc bien loin de ce qui est préconisé. Le conseil d'analyse économique avait recommandé en 2014 d'étendre l'assurance-maladie en abandonnant les complémentaires, ou la remplacer par un ensemble d'assureurs privés en concurrence régulée. La proposition de François Fillon d'une répartition des rôles - entre petits et grands risques - est une tentative à la fois incomplète et maladroite de trouver un compromis entre ces deux voies.
Pourquoi ne pas effectivement définir des paniers de soins solidaires à répartir entre acteurs privés et publics ? Encore faut-il garantir l'accès à tous et maintenir une pression effective à la baisse sur les coûts. L'exemple de l'optique est à cet égard édifiant : alors qu'elles en financent l'essentiel des dépenses au côté des ménages, les complémentaires ont été incapables d'instaurer une pression concurrentielle suffisante entre elles - et vis-à-vis des autres acteurs : opticiens, producteurs de verres et de montures - ce qui nous conduit à avoir une dépense par habitant près de deux fois supérieure à celles de nos voisins européens.
La proposition Fillon peut ainsi avoir un sens, s'il s'agit de confier les frais d'optique aux complémentaires par exemple, mais à condition de mettre en même temps en place une loi « Macron » dans le secteur pour faciliter la vente par Internet et en grande surface, tout en offrant une couverture pour tous. Nos candidats à la présidentielle devraient peut-être échanger ?