"Vous achetez de l’énergie et la revendez plutôt que de la consommer, c’est un mécanisme standard. Il n’y a pas de raison économique à donner une prime à l’effacement, tout effacement confondu." À écouter l’économiste Thomas-Olivier Léautier, enseignant-chercheur à la Toulouse School of Economics, la question de l’effacement – ce mécanisme qui, pour passer les pics de demande d’électricité ou mieux gérer l’intermittence des énergies renouvelables, organise l’effacement de certains consommateurs, particuliers ou industriels – semble simple.
"On surveille et on décide"
"Vous avez un contrat d’achat de l’énergie à 100 euros/MWh. Si à un instant le prix sur le marché de gros est à 200 euros, il peut être intéressant de revendre : on surveille et on décide. En fonction des coûts engendrés par l’effacement – la perturbation du point de vue de la gestion des ressources humaines, par exemple – un industriel peut estimer qu’il n’est prêt à arrêter les machines qu’à partir de 800 euros." Ce serait laisser le mécanisme de marché agir. Face à un secteur en train de se structurer avec une nouvelle donne énergétique, le gouvernement estime qu’il est du ressort de la loi de rentrer dans ces problématiques micro-économiques, et cherche des leviers. Ainsi semblent s’enchaîner ces dernières semaines les dispositifs, modifications des dispositifs puis ajustements des modifications des dispositifs.
Effacement diffus contre effacement industriel
Mardi 3 mars, Ségolène Royal exposait à ce propos les modifications apportées par le Sénat au projet de loi de transition énergétique, devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les coûts de l’électricité. "C’est un dispositif qui paraît complexe, et qui a effectivement demandé beaucoup de travail aux équipes du ministère", reconnaissait-elle d'un ton soulignant l'euphémisme. "Je vais suivre très attentivement l’application de cette réforme", ajoutait-elle aussitôt, envisageant d'"éventuels effets que nous n’aurions pas anticipés", "afin de rectifier, de piloter au plus près". Dans le texte adopté (voir notre brève), l’article 46 bis définit les deux types d’effacement : l’effacement industriel et l’effacement diffus, qui mise sur l’agrégation d’un nombre important de petits effacements résidentiels, mais a des coûts par consommateur importants. Entre les deux, la bataille est virulente. Voltalis est l’unique opérateur d’effacement diffus. Face à lui, il a une quinzaine d’opérateurs d’effacement travaillant avec les industriels.
L'épisode de l'arrêté prime
"Le problème pour nous, c’est l’amalgame, alors que nos deux modèles sont complètement différents", regrettait Anne-Sophie Chamoy, directrice des affaires juridiques et réglementaires chez Energy Pool – opérateur d’effacement industriel – fin janvier. Le gouvernement venait alors de publier l’arrêté fixant le montant de la prime versée à Voltalis pour l’année 2015 – puisqu’il est l’unique acteur concerné. Une "distorsion claire de concurrence", pour Anne-Sophie Chamoy. Même fortement réduite par rapport au montant initialement envisagé (16 euros par MWh en heures pleines, 2 euros en heures creuses), beaucoup estiment que cette prime n’est qu’une subvention à une entreprise dont le business model ne fonctionne pas. Le comble : Voltalis elle-même n’est pas satisfaite. L’entreprise avait dû céder sur le versement au fournisseur d’énergie, et avait obtenu la prime en contrepartie, mais le montant est trop faible pour la satisfaire, et la visibilité à long terme n’est pas plus au rendez-vous que la sécurité juridique.
La prime remplacée par un appel d'offres
Si le gouvernement persiste à vouloir développer l’effacement diffus, les efforts se portent plutôt sur l’effacement industriel, couplé dans les objectifs à un coup de pouce pour la compétitivité des électro-intensifs. L’article 46 bis, remanié par les sénateurs – avec l'"avis très favorable" de Ségolène Royal – maintient un versement au fournisseur effacé, mais revient sur la prime versée aux opérateurs d’effacement. Elle sera remplacée par un système d’appel d’offres, en appui sur la future PPE (programmation pluriannuelle de l’énergie). Le dispositif est présenté comme transitoire, "le temps que les différentes catégories d’effacement se développent et permettent in fine d’arrêter les premières capacités de production de pointe". Effacement et économies d’énergie sont présentés comme inséparables : le montant des versements ne sera pas le même si l’énergie effacée est un report de consommation, ou si c’est une économie d’énergie.
Efficacité énergétique et effacement
Nouvelle "erreur d’appréciation économique", déplore Thomas-Olivier Léautier : "L’effacement n’est pas une réduction de la demande, c’est mal poser la question. L’effacement, c’est faire le choix du moment où l’on va consommer, en fonction du prix, que la consommation disparaisse ou soit reportée ne change rien à la valeur du MWh consommé ou effacé". Selon lui, l’efficacité énergétique et l’effacement – "un outil de gestion de pointe qui permet d’éviter de recourir à de coûteuses centrales de pointe, fortement émettrices de gaz à effet de serre" – sont deux outils, deux sujets différents. "D’un point de vue économique, la question du caractère vertueux ou non de l’effacement n’a aucun sens."
Asymétrie et contrats atypiques
En revanche, mesurer la véracité des effacements est une question essentielle : comment s’assurer que les MWh effacés auraient réellement dû être consommés ? Et là, selon lui, l’État à un rôle à jouer, "plutôt que de vouloir décider quels sont les business model qui fonctionnent et ainsi empêcher les entreprises de faire leur travail d’innovation". L’effacement, explique-t-il, repose sur une asymétrie d’information entre l’industriel, qui sait exactement ce qu’il consomme habituellement, ce qu’il a consommé et ce qu’il a effacé, et le fournisseur d’énergie peut être dans l’incapacité de prouver, en cas de litige, que son client a gonflé sa consommation énergétique de référence. "À l’État régulateur de permettre que le fournisseur et le consommateur concluent un contrat atypique, 'spécial effacement'." Il a une idée de la forme que pourraient prendre ces contrats : "le consommateur paye une prime qui augmente proportionnellement à la consommation de référence déclarée, de façon à dissuader la surévaluation ; puis on ajuste d’autres curseurs du contrat, de façon à contrebalancer cette prime coûteuse, pour que l’effacement soit le plus attractif possible".
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