La crise des réfugiés est devenue un des défis majeurs de notre époque, capable de déstabiliser l’Union européenne et même les institutions démocratiques de tous les pays avancés. Jusqu’ici, nous savions peu de chose sur l’impact d’un flux soudain et inattendu de réfugiés sur l’économie des pays qui les accueillent. Mais une étude, qui vient de paraître dans les actes du congrès de l’American Economic Association, apporte quelques éléments instructifs.
Le conflit en Syrie, qui a éclaté en 2011, a eu pour résultat l’arrivée de plus de 4 millions de réfugiés en Turquie jusqu’à la fin de l’année 2015. L’économiste turc Semih Tumen a étudié l’évolution des chiffres de l’emploi, des salaires et des prix, en comparant les régions de la Turquie qui ont reçu des réfugiés en nombre important à celles qui n’en ont pas ou presque pas reçu (« The Economic Impact of Syrian Refugees on Host Countries : Quasi-Experimental Evidence from Turkey », The American Economic Review, Papers & Proceedings n°106/5, mai 2016).
La méthodologie s’appuie sur l’hypothèse que les régions qui ont reçu des réfugiés n’étaient pas très différentes des autres régions du pays avant 2011. Toute différence d’évolution du marché du travail entre ces régions après 2011 serait due en principe à l’impact des réfugiés.
L’auteur trouve que, dans les régions d’accueil, la probabilité pour les travailleurs non-réfugiés de trouver de l’emploi dans le secteur informel a baissé de 2,3 points de pourcentage, sans doute à cause d’une concurrence augmentée sur ce type de marché du travail. En revanche, la probabilité de trouver de l’emploi dans le secteur formel a augmenté de 0,5 point de pourcentage (peut-être à cause de l’emploi de personnels salariés pour la gestion des camps de réfugiés). Et il n’y a pas eu d’impact visible sur les salaires.
Un faible impact sur l’emploi
La probabilité d’emploi global a donc baissé de 1,8 point. C’est un impact négatif, mais il est extrêmement faible par rapport au nombre important de réfugiés. Les pays d’Europe occidentale qui acceptent des réfugiés en bien plus petit nombre devraient avoir peu à craindre en termes d’impact sur l’emploi.
L’auteur constate deux autres impacts importants : le premier est une baisse de 2,5 % des prix des biens et des services pour les consommateurs, probablement en raison de la fourniture par les réfugiés de biens et services moins chers que ceux fournis par les non-réfugiés. Cela peut représenter une perte pour les entreprises locales, mais c’est un gain pour les consommateurs, dont les salaires restent inchangés en moyenne alors que les prix baissent.
L’autre constatation est une hausse considérable des loyers, de 5,5 % en moyenne, concentrée dans les quartiers plus chers à l’origine. Certains résidents des quartiers populaires ont peut-être voulu fuir la présence de réfugiés en cherchant à louer dans des quartiers plus éloignés.
La méthodologie de l’étude a ses limites, certes. Mais elle devrait montrer que les conséquences économiques des réfugiés ne sont pas forcément négatives et, même quand elles le sont, elles ne sont pas forcément statistiquement importantes. Le discours apocalyptique de certains dirigeants politiques n’est pas conforté par ces chiffres. Même dans le domaine où l’impact est le plus négatif – les loyers – on peut en tirer des conclusions utiles. Permettre aux réfugiés de jouer un rôle constructif dans l’économie du pays qui les accueille (au sens littéral, par exemple en participant à la construction de logements) pourrait mitiger cet impact.
Le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont beaucoup bénéficié il y a trois quarts de siècle de l’arrivée des réfugiés fuyant le nazisme. A terme, l’économie et la société de l’Europe occidentale pourraient également beaucoup bénéficier de l’arrivée des réfugiés du Moyen-Orient, si nous arrivons à ne pas nous laisser déstabiliser par le caractère soudain et peu prévisible de cette migration.