Transition bas-carbone : quel impact sur le coût du capital des entreprises ?

11 Décembre 2023 Transition énergétique

Sébastien Pouget, Co-directeur de l’Initiative for Effective Corporate Climate Action questionne l’impact de l’action climatique des entreprises sur leur coût du capital. Il a partagé des éléments de réflexion à ce sujet à l'occasion d’un événement organisé par Getlink à Paris le 11 octobre 2023.

 

L’action climatique, nouveau déterminant du coût du capital  

Le changement climatique impose aux entreprises de revoir leurs modèles économiques pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et s’adapter aux conséquences du réchauffement de la planète. Mais cette transition vers une économie bas-carbone a un coût correspondant aux investissements nécessaires pour atteindre l’objectif de neutralité carbone. Ces besoins de financement impactent la profitabilité des entreprises via le coût du capital, c’est-à-dire le taux de rendement exigé par les investisseurs pour financer les projets. Le coût du capital des entreprises est déterminé par le marché financier et intègre les anticipations, les préférences et les risques des agents économiques. Il dépend donc de la perception qu’ont les investisseurs de la rentabilité, du risque et de l’impact sociétal des projets liés à l’action climatique.  

Plusieurs études théoriques analysent l’impact de l’action climatique des entreprises sur leur coût du capital. Cette action climatique peut affecter le risque de l’entreprise tel que perçu par les investisseurs. En matière climatique, deux risques sont proéminents : le risque de transition, lié aux changements réglementaires, technologiques, économiques ou sociaux qui accompagnent la transition vers une économie bas-carbone, et le risque physique, lié aux dommages causés par les événements climatiques extrêmes ou graduels, tels que les sécheresses, les inondations, les tempêtes ou l’élévation du niveau de la mer. Ces risques peuvent affecter la valeur et la corrélation avec les cycles macroéconomiques des activités des entreprises qui sont exposées aux énergies fossiles, ont une forte intensité carbone ou sont situées dans des zones à risque. En vertu du modèle standard d’évaluation des actifs financiers, le coût du capital se verra donc influencer par les risques climatiques.  

Mais le modèle standard doit être enrichi afin d’intégrer les spécificités du défi climatique. Ainsi, l’action climatique des entreprises peut aussi influencer leur coût du capital via les préférences des investisseurs, en modifiant la demande et le prix de leurs titres financiers. Ces préférences sont le reflet de leurs valeurs en lien avec des enjeux éthiques, sociaux ou environnementaux. Par exemple, si les investisseurs ont une aversion pour les entreprises polluantes ou fossiles, ils vont exiger un taux de rendement plus élevé pour détenir leurs actions ou leurs obligations, ce qui va augmenter leur coût du capital ; voir à ce sujet les travaux théoriques de Heinkel, Kraus et Zechner (2001), Pastor, Stambaugh et Taylor (2021), Zerbib (2022) et Gollier et Pouget (2022). L’incertitude autour de l’intensité des préférences climat des investisseurs peut néanmoins atténuer ce phénomène (Avramov, Cheng, Lioui, and Tarelli, 2022).  

 

Rendements réalisés, rendements attendus : clés d’analyse empirique  

Dans la mesure où une action climatique ambitieuse est associée à un moindre risque de l’entreprise et attire les financeurs et investisseurs responsables, on peut s’attendre à ce qu’elle se traduise par un coût du capital plus faible. Différentes études empiriques ont tenté d’étudier cette question. Les résultats de ces études sont, en première approche, mitigés.  

Certaines études trouvent, ainsi qu’attendu, un effet positif de l’empreinte carbone sur les rendements réalisés sur les marchés action, tant au niveau américain que global ; voir Bolton 2 et Kacperczik (2021, 2023). Ainsi, sur un échantillon de près de 14.400 entreprises dans 77 pays de 2005 à 2018, une augmentation d’un écart-type des émissions de carbone est associée à une augmentation des rentabilités réalisées de 2.34% par an. Mais d’autres études viennent nuancer ces résultats ; voir Aswani, Raghunandan, and Rajgopal (2023) et Zhang (2023). En effet, lors de certaines phases de marchés, les entreprises vertes peuvent enregistrer des rendements élevés : sur la période allant de 2013 à 2020, aux Etats-Unis, une surperformance de près de 10% par an a été observée ; voir Pastor, Stambaugh et Taylor (2022). Utiliser les rendements réalisés pour mesurer les rendements requis par les investisseurs peut introduire des biais, par exemple liés aux changements des préférences au cours des périodes d’étude ou à l’impact du bruit médiatique sur le changement climatique ; voir Pastor, Stambaugh et Taylor (2022) et Ardia, Bluteau, Boudt, et Inghelbrecht (2022). Il est alors utile de se tourner vers une autre méthodologie fondée sur les rendements attendus tels qu’inférés à partir des valeurs des actifs et des anticipations de flux financiers futurs.  

Les études empiriques montrent que les rendements attendus par les investisseurs pour les entreprises ambitieuses en termes d’action climatique, et donc leur coût du capital, sont plus faibles que pour les autres entreprises ; voir Chava (2014), Pastor, Stambaugh et Taylor (2022) et Hege, Pouget et Zhang (2022). Ce résultat confirme les analyses théoriques discutées précédemment. Par exemple, une étude récente sur les marchés obligataires américains montre que les entreprises dont l’intensité carbone (ratio entre émissions et chiffre d’affaires) est d’un écart-type au-dessus de la moyenne ont un coût de la dette supérieur de 2 à 17 points de base (Kim et Pouget, 2023).  

Finalement, d’autres études empiriques soulignent la difficulté pour les investisseurs d’identifier l’engagement climatique des entreprises, que l’information soit lacunaire ou incohérente - malgré la présence d’agences de notation extra-financière - ou que cette information soit sujette à des manipulations et à l’éco-blanchiment ; voir Berg, Kölbel, Pavlova et Rigobon (2023) et Hege, Pouget et Zhang (2022).  

 

Implications pour les entreprises et les régulateurs  

Quels enseignements les décideurs privés et publics peuvent-ils tirer de ces analyses ? Les entreprises pourraient améliorer leur transparence et leur communication sur leur performance environnementale, afin de signaler de manière crédible leur engagement dans l’action climatique et de réduire l’asymétrie d’information avec les investisseurs. Ceci pourrait passer par la mise en place d’une comptabilité environnementale ou de ratios de performance économique teintée de performance environnementale. Le recours à des organismes certificateurs devrait être développé. Les régulateurs pourraient encourager la conception et l’utilisation de normes et de labels climatiques, afin de faciliter la comparaison et la vérification des informations fournies par les entreprises. De ce point de vue, la création de la taxonomie verte au niveau européen est un pas dans la bonne direction.  

 

Références 
  • Ardia, D., K. Bluteau, K. Boudt, et K. Inghelbrecht (2022). Climate change concerns and the performance of green versus brown stocks. Management Science.  
  • Aswani, J., A. Raghunandan, et S. Rajgopal (2023). Are carbon emissions associated with stock returns? Review of Finance.  
  • Avramov, D., A. Lioui, Y. Liu, et A. Tarelli (2022). Dynamic ESG equilibrium, Documents de travail disponible sur SSRN.  
  • Berg, F., J. F. Kölbel, A. Pavlova, et R. Rigobon (2023). ESG Confusion and Stock Returns: Tackling the Problem of Noise, Document de travail disponible sur SSRN.  
  • Bolton, P. et M. Kacperczyk (2021). Do investors care about carbon risk?, Journal of Financial Economics, 142, p. 517–549.  
  • Bolton, P. et M. Kacperczyk (2023). Global pricing of carbon-transition risk, Journal of Finance, à paraître.  
  • Chava, S. (2014). Environmental externalities and cost of capital, Management Science.  
  • Gollier, C. et S. Pouget (2022). Investment strategies and corporate behaviour with socially responsible investors: A theory of active ownership. Economica.  
  • Hege U., S. Pouget et Y. Zhang (2023). The impact of corporate climate action on financial markets: Evidence from climate-related patents, Document de travail disponible sur SSRN.  
  • Heinkel R., A. Kraus et J. Zechner (2001). The effect of green investment on corporate behavior, The Journal of Financial and Quantitative Analysis.  
  • Kim, D. et S. Pouget (2023). Do carbon emissions affect the cost of capital? Primary versus secondary corporate bond markets, Document de travail disponible sur SSRN.  
  • Pastor, L., R. F. Stambaugh et L. A. Taylor, 2021, Sustainable investing in equilibrium, Journal of Financial Economics.  
  • Pastor L., R. F. Stambaugh et L. A. Taylor, 2022, Dissecting green returns, Journal of Financial Economics.  
  • Zerbib, O. (2022). A sustainable capital asset pricing model (S-CAPM): evidence from environmental integration and sin stock exclusion, Review of Finance.  
  • Zhang, S. (2023). Carbon returns across the globe, Document de travail disponible sur SSRN. w

Replay de l'évènement organisé par Getlink le 11 Novembre 2023 :
"Les Rencontres du Climat" - Deuxième édition

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