EDITORIAL - La crise agricole qui a secoué la France et l’Europe a remis en cause certaines avancées politiques en matière d’environnement. Un mouvement par ailleurs largement soutenu par les Français et qui sert le discours de protectionnisme du RN de Jordan Bardella en amont des Européennes.
Sur le front environnemental, l’année 2023 fut une annus horribilis. L’augmentation de la température moyenne mondiale y a franchi le seuil de 1,5 °C, beaucoup plus tôt que prévu. Mais plus grave encore, nous avons fait marche arrière dans nos efforts de décarbonation. L’année dernière, les émissions de gaz carbonique ont progressé de 1,1 % au niveau mondial, établissant un nouveau record. En Suède, le gouvernement vient de supprimer les aides aux véhicules électriques et de réduire la taxe carbone. Les Allemands ont finalement décidé de ne pas bannir les chaudières au fioul ou au gaz. Face aux coups de boutoir du monde agricole un peu partout sur le continent, l’Union européenne (UE) a lâché beaucoup de lest sur la réorientation écologique de la Politique agricole commune (PAC). La France a décidé de continuer à exempter les agriculteurs de la taxe carbone pour le gasoil non routier qu’ils utilisent. En totale incohérence, plus de 80 % des Français ont soutenu les agriculteurs dans leurs revendications. Et le silence de nos partis Verts en France a été assourdissant durant cet épisode pathétique.
Le Pacte vert européen (PVE) avait pourtant le vent en poupe l’an dernier. C’était un véritable miracle que l’Union ait pu s’accorder sur une vraie politique crédible de tarification du carbone, contenant notamment un nouveau marché de permis d’émission pour nos voitures et notre système de chauffage, le démantèlement des subventions aux industries carbonées par des permis d’émission gratuits, une taxe carbone aux frontières de l’Europe, et l’interdiction des véhicules thermiques neufs en 2035. Il faut aussi saluer l’UE pour ses efforts de réorientation de la PAC, passant d’un modèle productiviste à un modèle de rémunération ciblé sur les services rendus par les agriculteurs aux écosystèmes, bien plus paperassier.
Tout cela semble maintenant remis en cause. Début 2023, le "parti des agriculteurs", ouvertement anti-PVE, a fait une impressionnante percée aux élections régionales aux Pays-Bas. Et en juin 2023, le PPE, grand parti libéral conservateur de l’UE, demandait une pause réglementaire. Emmanuel Macron s’est aussi exprimé en ce sens au même moment.
La prise de conscience mais l’immobilisme
A l’approche des élections européennes des 8 et 9 juin, ceux qui pensaient que l’accumulation des catastrophes climatiques des années récentes allait retourner l’opinion contre les politiciens climatiquement peu ambitieux sont pris à contre-pied. La prise de conscience du risque ne change en effet rien, personne n’ayant intérêt à faire des sacrifices personnels pour le bien de l’humanité. Même les gens qui ont subi une inondation ou une tempête imputée au changement climatique ne font aucun effort supplémentaire pour décarboner leur mode de vie, selon une étude récente de Tobias Rüttenauer.
La révélation des vrais coûts de la transition qui émergent des politiques climatiques rentre maintenant en collision brutale avec cette utopie de la transition heureuse. Tous les experts savent que la transition va nous obliger à nous serrer la ceinture, et les seuls partis qui ont fait de cet enjeu climatique le cœur de leur stratégie restent incapables de défendre le seul discours qui vaille, celui de la sueur et des larmes. Evidemment, face aux partis climato-idiots de service vantant une "écologie positive", ce discours de vérité n’a aucune chance de gagner une élection.
C’est Jordan Bardella qui surfe actuellement le mieux sur cette vague en expliquant que le PVE est "une des plus grandes menaces qui pèsent aujourd’hui sur la France". Pour le RN, il semble que le changement climatique n’est intéressant que parce qu’il apporte un argument en faveur du localisme et du protectionnisme, donnant de la bouteille à ses vieilles lubies du repli sur soi et du bouc émissaire étranger. Mais la consommation en circuit court est une des politiques climatiques les plus inefficaces, le transport ne représentant qu’une très faible partie de l’empreinte carbone de la plupart des biens.
Avec le marché des permis d’émission de CO2, nous avons en Europe un instrument de mesure de la crédibilité des politiques climatiques. Le prix de la tonne de CO2 sur ce marché languissait autour de 20 euros durant la dernière décennie. Il a franchi la barre des 100 euros lorsque l’Europe a voté le PVE l’an dernier. Mais un krach silencieux se déroule sous nos yeux depuis deux mois, ce prix s’écroulant aux alentours de 55 euros ces jours-ci. Il faudrait pourtant un prix supérieur à 200 euros pour espérer atteindre notre objectif de réduction des émissions de 55 % d’ici à 2030. Les marchés spéculent sur une fatigue climatique en Europe. En votant début juin, vous pouvez donner tort à ces marchés!
Article publié dans Challenges, le 2 avril 2024
Illustration Photo de Elimende Inagella sur Unsplash