Le règne de a viande animale dans nos assiettes risque de toucher à sa fin dans les prochaines décennies. La production de viande conventionnelle représente déjà 15 % des émissions de gaz à effet de serre et se voit consacrer près de 80% de l'usage de terres agricoles. Converties en forêts, celles-ci pourraient constituer des puits de carbone limitant le réchauffement climatique. La consommation de viande devrait augmenter sous l'effet de la démographie et de l'évolution des pratiques alimentaires, mais on ne peut se permettre d'y répondre en rasant les forêts amazoniennes! Des alternatives crédibles émergent, même s'il reste difficile prédire laquelle deviendra performante, sûre sur leplan sanitaire et environnemental, et satisfaisante pour le palais des consommateurs.
Intéressons-nous à l'une d'entre elles, la « viande cultivée » . Cette technologie consiste à extraire des cellules souchesensuite cultivées in vitro sous forme de tissus musculaires. Elle a pour origine les Pays-Bas, avec un brevet déposé en1994 par le chercheur Willem van Eelen, puis le hamburger artificiel créé en 2013 par la société Mosa Meat du professeurMark Post de l'université de Maastricht. Depuis, seuls quelques rares brevets avaient été déposés dans le monde, maisles douze derniers mois ont connu une vive accélération avec plus d'une douzaine déposée aux Etats-Unis, fruit d'efforts menés par des start-up principalementaméricaines et israéliennes, et d'universités comme celles de Jérusalem ou du Missouri.
En France, l'Inrae (ex-Institut national de la recherche agronomique) devrait logiquement y consacrer des ressources. Dans ce domaine, ses rares publications secontentent de s'y opposer, parlant de « mythe » ou de « voie exploratoire controversée » , et aucune recherche fondamentale n'est menée par cet institut qui avait su pourtant dans le passé, au grand dam des défenseurs de la cause animale, breveter des innovations modifiant génétiquement les animaux afin de rendre leur fourrure ou leur viande plus propice à la commercialisation. Cette attitude fait écho à celle des pouvoirs publics, arc-boutés dans la défense de la défense de la filière agricole traditionnelle. Le ministre Julien Denormandie vient de rappeler son opposition au principe même de la production et de la consommation de viande artificielle.
Comment expliquer l'apparition des technologies de rupture ? Leurs durées de maturation excèdent souvent la durée de protection de vingt ans conférée par un brevet. Difficile dès lors de parier sur une telle technologie en devenir, sauf à breveter au fil du temps des innovations incrémentales, et à pouvoir aussi bénéficier d'un secteur de capital-risque actif et proche des universités. Cela explique sans doute pourquoila France, à l'origine en partie des vaccins ARN avec les travaux pionniers de chercheurs comme Frédéric Martinon dans les années 1990, est passée complètement à côté de leur développement.
Ce problème n'épargne pas non plus la recherche aux Etats-Unis. Comme l'a montré l'économiste Philippe Aghion avec d'autres confrères, la recherche en faveurdes énergies renouvelables y a fortement ralenti avec l'avènement du gaz de schiste. Il devenait plus intéressant d'innover en visant des profits à court terme pour améliorer des industries polluantes, plutôt que de parier sur l'avenir. Le rôle des pouvoirs publics est alors essentiel, à condition qu'ils ne soient pas capturés par des lobbys, comme cela semble être le cas en France dans le cas de la viande cultivée.
Article paru dans Les Echos le 8 avril.
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