Les efforts des décideurs politiques pour assainir la production électrique ont souvent eu pour objectif de substituer les sources d’énergie renouvelable aux combustibles fossiles. Malheureusement, l’électricité produite par les éoliennes et les panneaux solaires est extrêmement imprévisible. Stefan Ambec est professeur chercheur de l’INRA à TSE. En collaboration avec Claude Crampes (TSE-UTC), il a produit la première analyse analytique de politiques publiques de support aux énergies renouvelables en prenant en compte le problème dû à leur intermittence.
De nombreux instruments économiques ont été adoptés dans le monde afin de réduire la production électrique basée sur le carbone : certains pays taxent leurs émissions de CO2 et l’UE, elle, les plafonne avec des quotas échangeables.
Le type de soutien en matière d’énergies renouvelables diffère lui aussi. Les États fédéraux américains ont tendance à opter pour des normes de portefeuille d’énergie renouvelable (Renewable Portfolio Standards en anglais ou RPS), qui imposent qu’une fraction minimale de la demande en électricité soit couverte par des sources d’énergie renouvelables. La plupart des pays européens ont opté pour un tarif d’achat subventionné (Feed-In Tarif en anglais ou FIT) pour l’électricité de sources renouvelables à un prix fixé bien au-dessus du prix de gros. La différence de prix est généralement financée par une taxe sur la consommation d’électricité. Les FIT ont plutôt réussi à stimuler l’investissement dans les énergies éoliennes et solaires en Europe
L’imprévisibilité des énergies éoliennes et solaires accentue encore plus le défi de la répartition énergétique. Alors que les prix de l’électricité de gros varient en fonction de l'approvisionnement en électricité, ce n’est pas le cas des prix de détail payés par les consommateurs. Même si les prix variaient avec les conditions météorologiques, la plupart des consommateurs ne réagiraient pas immédiatement aux variations de prix.
Les instruments publics de support des renouvelables
Stefan Ambec et Claude Crampes proposent un modèle d’investissement dans le mix énergétique basé sur deux sources d’énergie : l’une propre mais intermittente (par ex. l’éolien), et l’autre fiable mais polluante (par ex. le charbon). Ils analysent ensuite l’impact de trois instruments de politique publique dans une industrie de l’électricité concurrentielle : la taxe carbone sur les combustibles fossiles, les FIT et les RPS.
En faisant augmenter à la fois les coûts d’exploitation et le prix de l’électricité produite via l’énergie thermique, la mise en place d'une taxe carbone augmente la compétitivité des énergies renouvelables et réduit la production d’électricité en provenance de combustibles fossiles. Elle augmente l’investissement dans les énergies éoliennes et réduit le nombre des centrales thermiques. Néanmoins, la capacité de production totale des deux sources d’énergie peut augmenter.
Les FIT et les RPS favorisent l’intégration des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Lorsqu’ils sont conçus pour cibler la pénétration optimale des sources d’énergies renouvelables, ils induisent une surproduction d’électricité, un surinvestissement dans les énergies thermiques et une pollution environnementale excessive. Ils doivent être complétés par une taxe sur l’électricité ou les combustibles fossiles pour corriger ces excès. La taxe sur l’électricité qui finance uniquement les FIT est alors trop faible pour obtenir un mix énergétique optimal.
Le pouvoir sur le marché
Les deux chercheurs démontrent également que si un producteur d’énergie thermique en situation de monopole se retrouve en concurrence avec des producteurs d’énergie éolienne, sa capacité à exercer sur le marché ne s’en trouve pas modifiée. Pire encore, la concurrence de l’énergie éolienne encourage le producteur d’énergie thermique à réduire sa capacité de production afin de facturer un prix de monopole lorsque les éoliennes sont arrêtées. Cela fait augmenter le prix de détail de l’électricité.
Il est donc nécessaire de réglementer le secteur même en présence d’une concurrence en provenance de l’énergie éolienne. Les chercheurs indiquent que la taxe carbone qui réglerait les deux défaillances du marché, c’est-à-dire le pouvoir sur le marché et les externalités environnementales, devrait varier en fonction de la disponibilité des sources intermittentes.
Des solutions intelligentes
Ce modèle permet à Stefan Ambec et Claude Crampes d’identifier la valeur sociale des solutions technologiques au problème de l’intermittence. Le stockage de l’énergie, en stockant par exemple de l’eau dans des réservoirs en amont de centrales hydroélectrique, réduit l’intermittence des renouvelables. La valeur marginale du stockage de l’énergie dépend de la différence de coût entre les sources d'énergies intermittentes et fiables. Elle est reflétée par la variation des prix de l’électricité sur le marché de gros.
Les compteurs intelligents équipés de commutateurs de charge et de batteries peuvent aider également les consommateurs à s’adapter aux variations des prix. Plus les consommateurs sont réactifs aux variations de prix et plus les coûts de production, d’équipement et environnementaux des énergies thermiques sont réduits. Cependant, les compteurs intelligents exposent des consommateurs ayant de l’aversion vis-à-vis du risque à des fluctuations de prix. Les chercheurs suggèrent que de tels effets d’exposition au risque devraient être intégrés à l’analyse coût-bénéfice de l’installation des compteurs intelligents.
Que nous réserve l'avenir ?
Il y a encore tant à faire dans le cadre d’étude de Stefan Ambec et Claude Crampes. La diversification des sources d’énergie pourrait atténuer le problème de l’intermittence. Grâce à l’utilisation d’un modèle similaire développé dans une publication de 2012, les deux chercheurs ont montré qu’un mix énergétique optimal consiste à investir dans deux sources d'énergie intermittentes qui ne produisent pas l’énergie au même moment, même si l’une d'entre elles est moins performante. De façon similaire, investir dans l’énergie éolienne ou solaire à différents endroits, ou dans l’énergie marémotrice ou hydrolienne, permettrait de réduire la dépendance à l’énergie thermique.