Partout, dans les pays industrialisés, les candidats aux élections ont fait campagne sur des promesses d’apprivoiser la mondialisation. Leurs propositions sont certes différentes, mais ils partagent l’espoir de maîtriser les processus qui mènent à la croissance des inégalités. Une étude d’une équipe de chercheurs du Massachusetts Institute of Technology, de Harvard et de l’université de Zurich montre combien leur tâche est difficile (« The Fall of the Labor Share and the Rise of Superstar Firms », David Autor, David Dorn, Lawrence Katz, Christina Patterson et John Van Reenen, Centre for Economic Policy Research, Discussion Paper n° 12041, lien vers PDF en anglais).
Selon les auteurs, des « entreprises vedettes » (superstar firms), cumulant grandes parts de marché et profits élevés, ont pris une importance croissante dans l’économie. C’est la cause principale de la baisse globale de la part de la rémunération du travail dans la valeur ajoutée des entreprises qui a eu lieu dans beaucoup de pays industrialisés depuis les années 1970. En France, par exemple, la part de la rémunération du travail a baissé de 75 % environ en 1980, jusqu’à moins de 65 % aujourd’hui.
Entreprises vedettes
On pourrait penser que ce phénomène est le résultat, dans la plupart des entreprises, d’une pression sur les salaires en faveur des profits. Selon cette hypothèse, il correspondait à une montée en puissance du patronat et à un affaiblissement de la concurrence permettant une augmentation des marges. Mais l’étude utilise des données détaillées par entreprise pour montrer qu’au contraire la part de la rémunération dans la valeur ajoutée n’a guère changé pendant cette période… au sein de chaque entreprise.
C’est donc une réallocation de la production des entreprises à faible productivité et à faible rentabilité en faveur des entreprises plus productives et rentables qui est en cause. Cette réallocation est liée à l’augmentation des parts de marché des entreprises vedettes. Elle se produit non seulement dans l’économie numérique, comme chez Apple ou Google, mais également dans la distribution, la pharmacie et l’industrie manufacturière traditionnelle.
Cette augmentation de parts de marché pourrait certes indiquer un affaiblissement de la concurrence. Mais plusieurs indices montrent que la croissance de la productivité et l’intensité d’innovation des superstar firms sont positivement associées à l’augmentation de leurs parts de marché. Cette dernière se révèle donc plus probablement le résultat d’une concurrence plus forte, liée à une baisse des coûts pour les consommateurs qui les incite à favoriser les entreprises les plus performantes.
le système économique en cause
Bref, la baisse de la part de la rémunération du travail dans la valeur ajoutée semble être le résultat de forces économiques profondes en action dans l’ensemble des pays avancés, et qu’il serait difficile, et pas forcément souhaitable, de freiner. Les auteurs restent sobres sur leurs conclusions ; ils n’excluent pas que les entreprises vedettes utilisent la domination acquise pour freiner la concurrence. Mais de tels abus sont le fruit de leurs innovations précédentes.
Certes, une baisse de la part de la rémunération du travail ne conduit pas inévitablement à une augmentation des inégalités sociales. Car les profits des entreprises ne partent pas tous dans la poche des riches : ils peuvent alimenter les fonds de retraite des employés et les revenus fiscaux de l’Etat… si la volonté politique est présente.
En revanche, la croissance des entreprises vedettes peut aussi conduire à une répartition plus inégale de la rémunération du travail – par des salaires plus élevés pour les cadres dirigeants des entreprises vedettes.
Confrontée à une répartition plus inégale de la masse salariale, qui plus est proportionnellement en baisse, seule une volonté politique forte peut empêcher la croissance des inégalités. Si un consensus en faveur d’une fiscalité plus redistributive ne peut être trouvé, il est alors tentant pour certains politiques de mettre en cause le fonctionnement même du système économique.