La commission indépendante chargée de réfléchir à l'avenir économique du territoire toulousain a été installée le 6 juillet. Près de trois mois après, vous rendez aux collectivités le rapport final ce mardi 29 septembre. Quel est le sentiment qui prédomine ?
Jean Tirole : C'est un travail formidable, aussi bien en qualité qu'en quantité, avec les limites inhérentes à un travail fait en deux mois et demi. Il y a une boite à idées considérable et je pense qu'il y a des propositions à piocher pour essayer d'améliorer la situation et se projeter à Toulouse dans un avenir à horizon 2030 voire 2035, avec des mesures parfois peu onéreuses.
Marion Guillou : C'était un travail collectif passionnant, avec 12 experts et trois rapporteurs. Nous nous sommes mis au travail tout de suite et nous avons tenu huit réunions depuis notre installation. Par ailleurs, nous avons mené 110 auditions. Dans ces entretiens, nous avons trouvé des gens extrêmement motivés. Il y aune vraie envie collective de bouger pour assurer un avenir positif au territoire de Toulouse.
Au cours de ces nombreuses consultations, un sujet prédominant a-t-il fait son apparition ?
M.G.: Nous avons beaucoup parlé de l'emploi des jeunes. Il y a beaucoup plus de jeunes à Toulouse qu'ailleurs en France. Et les projections démographiques prouvent que cela va se confirmer dans le temps.
J.T.: C'est un énorme atout, mais une difficulté face à la Covid-19, avec 50 000 jeunes qui vont se retrouversur le marché de l'emploi cette année et pour lesquels il faut trouver des débouchés.
M.G : Il y a 80 000 offres d'emplois non pourvues sur la métropole et en parallèle, vous avez 85 000 personnes qui en cherchent. L'une de nos propositions est donc de créer une offre de formation en adéquation avec les besoins en compétences au niveau local. Pour y parvenir, nous appelons à la création de trois campus industriels afin de proposer des formations qui correspondent aux emplois vacants. Ces campus pourraient aussi proposer des formations de très haut niveau autour de la data et des formations pratiques autour des savoirs-faire.
Au total, ce rapport contient combien de propositions ?
M.G.: Nous faisons 11 propositions, très macroéconomiques. L'emploi des jeunes en fait l'objet de quatre, mais le tourisme est aussi un point important de ce rapport. Nous avons réalisé qu'il y avait peu de touristes internationaux à Toulouse. Et dans le même temps, trois quarts des touristes correspondent à du tourisme d'affaires. Or, il y a de quoi développer le tourisme culturel et de loisir de manière extraordinaire à Toulouse et son territoire . De ce constat, nous avons rédigé plusieurs propositions autour du mot "éco-occitanie". Il y a de bons produits et une nature exceptionnelle, mais ils sont peu valorisés. Pour y remédier, nous faisons une proposition de tourisme en étoile autour de Toulouse, c'est-à-dire de faire des « paquets », pour que les personnes qui viennent à Toulouse soient incitées à se rendre à Albi ou Carcassonne par exemple.
Rien sur un événement culturel phare à Toulouse, l'un des sujets forts des dernières élections municipales dans la Ville rose ?
J.T.: Nous proposons un événement de la sorte. Un identifiant est nécessaire à l'échelle d'une ville, mais il faut des études en profondeur pour choisir le bon positionnement. Par ailleurs, il faut proposer des concoursinternationaux d'architecture. Un geste architectural fort comme la Cité du Vin de Bordeaux, ou le Guggenheim à Bilbao, est un identifiant certain pour une ville, l'ancrant dans la modernité.
Au-delà de la culture et du tourisme, avez-vous des mesures à l'égard de l'économie ?
M.G.: Nous sommes convaincus que Toulouse restera une grande ville de l'aéronautique et même sa capitale européenne. Mais nous voulons aussi qu'elle s'empare de l'ambition d'être la capitale européenne du spatial. Dans le rapport, nous expliquons pourquoi il y a le potentiel technique et industriel pour y parvenir.
Nous proposons également de développer un écosystème autour des nouvelles mobilités, car de nombreuses compétences de l'aéronautique peuvent être utilisées dans ce domaine. Enfin, nous évoquons les biotechnologies et la possibilité de constituer un pôle d'excellence de la médecine du futur. À ce propos, nous avons formulé une proposition pour créer une petite cellule afin d'accompagner les industriels du secteur aéronautique dans leur volonté de diversification vers la médecine du futur, mais qui sont freinés face à l'idée des nombreuses étapes juridiques et administratives qui en découlent.
L'agglomération de Toulouse est régulièrement pointée du doigt pour son réseau de transports et les infrastructures en la matière. Quel est votre regard à ce sujet ?
M.G. : Il faut 58 minutes en moyenne par jour pour aller au travail et 88% de ces trajets se font en automobile. Parallèlement, Toulouse est la troisième ville la moins dense d'Europe. Pour contrer cela, il faut pense rl'aménagement du territoire pour que les futures zones croisent emplois et logements, tout en repensant les mobilités. Il faut revoir les mobilités internes à la ville (3ème ligne de métro et Plan vélo), la mobilité entre Toulouse et les autres villes autour en améliorant la fiabilité du TER et la mobilité extrarégionale en relançant le projet de LGV Toulouse-Bordeaux. Il faut désenclaver Toulouse.
Malgré les faiblesses identifiées, estimez-vous après ce travail que Toulouse a toutes ses chances de retrouver un dynamisme économique pour sortir de cette crise ?
M.G.: Vu de l'extérieur, il y a tout le potentiel nécessaire. Désormais, tout dépend de comment les parties vont agir ensemble. Autrement dit, comment faire pack, il y a une question de méthode derrière ce travail. Mais il y a une énergie, une intelligence et des atouts culturels et naturels qui font que Toulouse a énormément de chances d'y parvenir.
J.T.: Nous avons tout ici. Et même si nous savons que nous aurons deux à trois années difficiles, Toulouse peut se relever de cette crise en nous y mettant tous ensemble, en décloisonnant les sujets et en ayant des ambitions. Il faut arriver à profiter de ces atouts, ce que nous n'avons pas toujours fait, comme dans le cas des universités notamment.
M.G.: C'est d'ailleurs un point qui nous a beaucoup frappé. Il y a une force scientifique extraordinaire à Toulouse. Mais quand vous regardez la carte des sites d'excellence en France (18 sites, ndlr), Toulouse n'y est pas, contrairement à Bordeaux et Nice par exemple.
Vous proposez que Toulouse dépose une nouvelle candidature pour le label IDEX ?
M.G : C'est une évidence que Toulouse doit y retourner.
J.T.: Ce n'est pas seulement une question de réputation. Nous avons perdu beaucoup de budget (25 millionsd'euros par an) et des nouveaux aussi, car n'étant pas un site d'excellence, Toulouse ne peut faire acte de candidature sur certains programmes. C'est très grave.
M.G.: Pour sortir des crispations antérieures, nous proposons que la Métropole de Toulouse et le conseil régional nomment une personnalité extérieure chargée de conduire la concertation avec les acteurs volontaires pour reconstruire un établissement juridiquement appelé un établissement expérimental d'enseignement supérieur. Les forces sont là, c'est seulement le collectif qui n'a pas réussi à s'entendre par le passé. Un arbitre externe pourrait donc remobiliser les acteurs pour refaire le projet.
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- Jean Tirole
- Marie Guillou