Entretien de Christian Gollier à Altantico publié le 11 novembre 2022
La COP 27 s’est ouverte en Egypte dans un contexte marqué par les conséquences déstabilisatrices sur le marché de l’énergie de la guerre en Ukraine. La France maintient ses objectifs climatiques et sa transition. Vouloir préserver le pouvoir d’achat et poursuivre la lutte contre l’inaction climatique est-il possible ?
Atlantico : Alors que la COP 27 se tient actuellement en Egypte se pose la question du coût de la transition énergétique. A quel point cela sera-t-il coûteux ?
Christian Gollier : L’action climatique sera coûteuse et aura un impact négatif sur le pouvoir d’achat. Tous les modèles le disent. Abandonner les ressources fossiles qui ont fait la prospérité de l’Occident depuis deux siècles pour aller chercher des énergies renouvelables qui demeurent pour l’instant relativement hypothétiques, techniquement, notamment dans la gestion de l’intermittence de l’éolien et du solaire, sera coûteux. Aujourd’hui, nous ne savons pas faire, même s’il y a eu une forte amélioration, il reste des verrous technologiques. Pour la mobilité et pour le chauffage, cela reste aujourd’hui très coûteux. Fabriquer un véhicule thermique coûte aujourd’hui moins cher qu’un véhicule électrique. L’action climatique va coûter cher.
Quand LFI mène des actions contre la vie chère et l’inaction climatique, c’est de l’aveuglement ?
Il y a deux hypothèses possibles. La première, c’est qu’ils ont des croyances irréalistes et l’utopie d’une transition écologique heureuse, créatrice de millions d’emplois, qui ferait réduire la facture d’électricité. La seconde, c’est qu’ils réalisent le coût mais se disent que ce n’est pas eux qui vont le payer. L’hypothèse numéro 1 est de moins en moins possible. Les gens comprennent de plus en plus que cela va coûter cher, on s’en rend compte au quotidien. Cela coûte de l’argent et possiblement de l’inconfort. Donc je penche pour l’hypothèse 2, les gens pensent que ce seront les autres qui paieront. De nombreux politiciens disent qu’ils vont protéger les consommateurs et faire payer les entreprises. D’autres disent qu’il faut d’abord décarboner les riches avant eux. Les gens tiennent absolument à protéger leur mode de vie, ils sont prêts à beaucoup pour cela. Le problème est que ce comportement est assez délétère. Et il y a des partis politiques, en particulier de gauche, qui sont totalement alignés sur ce discours politique. Cela a des conséquences terribles sur la mobilisation pour le changement de mode de vie. Or gagner la bataille doit être le fruit d’une mobilisation générale. Tous les petits gestes vont compter.
Pour avancer, faut- il accepter ce postulat de base ?
Oui, tant que les gens demeurent persuadés que la transition n’impliquera aucun sacrifice pour eux, cela ne permettra pas d’avancer, sauf en manifestation. Un politicien ne peut pas ramer à contre courant. Tant que l’opinion est persuadée que ce n’est pas à elle de faire des efforts, toute personne qui en demandera sera forcément battue.
Concilier lutte contre la vie chère et lutte contre l’inaction climatique est-il possible ?
On peut cacher les vrais coûts de la transition. C’est d’ailleurs ce qu’on fait depuis longtemps. On subventionne les panneaux photovoltaïques avec une taxe sur la facture d’électricité. Toutes les politiques consistant à imposer des normes anti-pollution pour les véhicules ou maisons neuves ont augmenté de manière importante les coûts de construction. Et on le cache aux ménages. C’est une stratégie qui a ses limites car augmenter les coûts réduit la compétitivité des entreprises du secteur. L’autre stratégie, c’est au contraire d’avoir des débats publics révélant l’existence de ces coûts. C’est un débat qu’on aurait dû avoir et que l’on n’a pas eu, y compris pendant la Convention citoyenne pour le climat. Il nous faudra un jour tenir le discours du sang, des larmes et de la sueur dans la guerre mondiale contre le réchauffement climatique, sinon on n’y arrivera pas.
Il y a toujours l’espoir de développer des technologies permettant de produire des énergies renouvelables décarbonées à des coûts plus faibles que ceux de l’extraction du pétrole saoudien. Aujourd’hui, c’est 1 ou 2 $. C’est le techno-optimisme qui s’oppose de manière cyclopéenne à la décroissance. Le débat public tourne entre ces deux idées, mais la réalité est entre les deux. On ne peut pas faire le pari de technologies décarbonées, on peut l’espérer mais on ne peut pas attendre qu’elles arrivent. Il faut agir, fortement, y compris par des actions relativement peu coûteuses. Baisser la température de quelques degrés, prendre une douche moins longue, ça ne coûte pas grand-chose en bien être et ça rapporte gros dans la lutte contre le réchauffement climatique et notre souveraineté énergétique.
Un coût partagé par tous sera donc moins important que s’il n’est supporté que par certains acteurs ?
Il faut évidemment protéger les plus vulnérables et les plus modestes des coûts de la décarbonation. On peut le faire avec une fiscalité carbone. Mais il faut malgré tout mobiliser tout le monde et faire réaliser les responsabilités individuelles.
La taxe carbone est-elle une solution ?
Elle ne fait que révéler le coût de la transition énergétique. Elle n’est pas responsable de l’inflation. La transition énergétique va coûter beaucoup d’argent. Et que vous la mettiez en œuvre par une taxe carbone, des interdictions, des normes ou des subventions, cela va coûter de l’argent. Les entreprises n’ont pas de trésor magique pour compenser ces coûts. La taxe carbone à l’avantage d’être totalement explicite sur le coût. Mais celui-ci sera payé quoi qu’il arrive.
Quelles sont les mesures concrètes à mettre en place ?
L’interdiction des chauffages des terrasses était une évidence. Imposer une surtaxe pour le kérosène des jet privés pourrait l’être aussi. Il faudra aussi interdire l’utilisation du charbon pour produire de l’électricité. On ne le fera pas pour l’instant, car nous avons besoin du charbon en raison de la guerre en Ukraine.
Comment rendre le coût de la transition socialement accepté et acceptable ?
Le problème est que cette transition coûtera beaucoup d’argent aujourd’hui mais que ce sont les générations futures qui en profiteront. Et celles-ci ne sont pas encore nées et n’ont pas le droit de vote. On demande des sacrifices aux générations présentes. La seule solution, à court terme, c’est d’au moins protéger les plus modestes en utilisant une partie de la fiscalité carbone à venir par exemple.