La loi « agriculture et alimentation », votée en première lecture à l’Assemblée le 30 mai, a déçu les défenseurs des animaux. Les amendements sur l’interdiction des élevages hors sol de poules pondeuses, des lapins en cage, de la castration à vif des porcelets mâles ou du broyage des poussins vivants, ont été rejetés par nos députés. Cette loi est perçue comme une victoire du lobby agricole.
Nous pouvons difficilement reprocher à un lobby d’être efficace, et de pénétrer les cercles politiques pour obtenir des lois favorables au secteur producteur. En revanche, nous pouvons reprocher à nos représentants politiques de ne pas avoir voté des mesures favorables aux animaux d’élevage alors que celles-ci sont largement soutenues par la population.
Les organisations de producteurs avancent régulièrement que la plupart des consommateurs ne semblent pas prêts à payer pour des produits plus respectueux du bien-être animal. Les améliorations coûteuses des conditions d’élevage ne se justifieraient donc pas économiquement, et nuiraient au secteur. Un exemple illustre pourtant que cet argument doit être nuancé.
Une information difficilement accessible
En 2008, en Californie, plus de 90 % des œufs vendus sur les marchés étaient issus de poules en batterie. Pourtant, cette année-là, un référendum sur une mesure — dite « proposition 2 » — interdisant ces cages a été voté par 63,5 % des Californiens. Ainsi, les décisions sur les marchés n’étaient que peu informatives sur le désir de la population californienne révélé par le vote.
La mesure d’interdiction, effective en 2015, a généré une augmentation de prix de la douzaine d’œufs en Californie d’environ 65 centimes d’euros, un surcoût que la population a donc collectivement accepté de payer pour améliorer la situation des poules pondeuses.
Cet exemple étranger révèle aussi que l’information sur les conditions d’élevage, largement diffusée lors des débats sur le référendum, joue un rôle déterminant. A la suite de ces débats, la demande pour les œufs de poule en liberté a augmenté de 180 % en Californie.
Pour que le consommateur puisse par ses décisions inciter l’industrie à adopter des pratiques plus vertueuses, il est nécessaire qu’il soit bien informé sur ces pratiques. Or, l’information sur les pratiques brutales mais pourtant routinières du secteur (écornage, castration, épointage, abattage sans étourdissement, etc.), l’âge des animaux lors de l’abattage, le taux de mortalité en élevage ou le niveau de confinement, est difficilement accessible.
Un amendement pourtant peu ambitieux
Le secteur producteur peut sans grandes entraves s’appuyer sur un marketing trompeur typiquement basé sur des termes ambigus, un oubli ou une euphémisation de la mort et de la souffrance, voire la présentation d’animaux heureux et évoluant en liberté dans des environnements bucoliques. Cette présentation ne correspond pas à la réalité des élevages intensifs concernant la très grande majorité des poules pondeuses, des poulets de chair, des porcs et des lapins en France.
L’amendement sur l’introduction de la vidéosurveillance dans les abattoirs n’a pas non plus été voté par nos députés. Ce rejet est emblématique puisque les débats actuels sont probablement en partie la conséquence de la diffusion des vidéos clandestines de l’association L214 dans les élevages intensifs et les abattoirs français.
Cet amendement paraissait pourtant peu ambitieux puisqu’il ne concernait que les abattoirs, et donnait accès au visionnage des vidéos aux vétérinaires mais pas au public ou aux associations. Si le secteur producteur n’avait rien à cacher, pourquoi refuserait-il plus de transparence et de contrôles externes ?
Les députés ont également voté contre la mise en place d’une alternative végétarienne dans les cantines. L’argument du coût de cette mesure apparaît peu convaincant. Pourquoi refuser la possibilité à nos enfants d’explorer d’autres types de nourriture ? Pourquoi ne pas encourager d’ores et déjà les générations futures à végétaliser leur alimentation ?
Un « cannibalisme élargi »
A la lumière des études scientifiques, il est pourtant difficilement contestable qu’une majorité de Français consomment trop de viande et de produits laitiers. Les conséquences négatives de cette consommation sur la santé et l’environnement sont avérées et considérables. Et les conséquences sur les finances publiques françaises sont importantes car le secteur de l’élevage est largement subventionné, à hauteur de plusieurs milliards d’euros chaque année.
L’anthropologue Claude Lévi-Strauss voyait dans la consommation de viande un « cannibalisme élargi ». Il prédisait son arrêt à terme pour des raisons morales. Même si un tel scénario apparaît peu envisageable dans un futur proche, les Français se soucient de plus en plus de la condition animale, à l’image de l’essor des mouvements flexitariens, végétariens et végans. Internet contribue sûrement à ces évolutions en permettant la diffusion d’informations sur les produits animaux et de vidéos sur l’élevage autrement que par les canaux traditionnels souvent contrôlés par les intérêts économiques et politiques.
Un gouvernement moderne et efficace doit respecter la demande des citoyens. Il doit être
transparent, évaluer de manière robuste et indépendante les impacts économiques, sanitaires et environnementaux de la régulation, s’opposer aux forces conservatrices poussées par les lobbies et le corporatisme ; enfin il doit anticiper les évolutions sociétales.
Sur le bien-être animal, la loi française est en retard par rapport à celle des pays du nord de l’Europe. Le gouvernement actuel a souvent été salué pour son modernisme et son audace sur des dossiers politiques compliqués. Afin de ne pas inscrire son action à rebours de l’histoire, ce gouvernement doit complètement réviser sa gestion du dossier « bien-être animal ».