Interview donnée par Emmanuelle Auriol au journal Le Monde le 17 janvier 2022.
Faible culture économique, court-termisme électoral, absence d’évaluation… L’économiste Emmanuelle Auriol détaille, dans une tribune au « Monde », le désintérêt du politique pour l’expertise scientifique.
Tribune. Alors que la liste des candidats à la présidentielle de 2022 s’affine, peu d’entre eux s’appuieront sur le travail des économistes pour construire leur programme. C’est dommage car, contrairement aux idées reçues, nos présidents ont tendance à les appliquer. Leur contenu économique engage donc notre future prospérité.
Pourquoi les économistes sont-ils si peu écoutés ? La première raison est le déficit de culture économique. Cette discipline n’étant pas obligatoire à l’école, sauf dans quelques filières, l’écrasante majorité des Français n'en a jamais fait, ce qui pèse lourdement dans le débat public. Il suffit, pour s’en convaincre, de considérer l’exemple du chômage. Le fait de n’avoir jamais fait d’économie conduit à une vision statique du monde. L’emploi, et de manière plus générale l’économie, est envisagé comme un gâteau de taille fixe. Pour résoudre le problème du chômage, il suffirait de faire des parts plus petites. C’est la logique qui sous-tend la réforme des 35 heures : si tout le monde travaille un peu moins, tout le monde aura du travail. Les partis d’extrême droite argumentent, quant à eux, qu’il suffit d’enlever des travailleurs, en l’occurrence des immigrés, pour libérer des places pour les Français et donc résorber le chômage.
Ces raisonnements séduisent les électeurs, car, à défaut d’être juste, ils ont le mérite d’être simples. Ils s’appuient sur le sens commun et l’intuition sensible, ce qui est rarement utile pour comprendre un système complexe, que ce dernier soit physique, biologique ou social. Et de fait, ni la mise en place de politiques de plus en plus restrictives en matière d’immigration économique ni la diminution du temps de travail n’ont contribué à résorber le chômage. Selon les estimations optimistes, le « partage du temps de travail » aurait permis de créer au plus 350 000 emplois, alors que des études récentes traitant de manière plus rigoureuse des problèmes d’endogénéité ne trouvent aucun effet sur le chômage.
Concurrence par le bas
Un système économique moderne est un système dynamique : l’économie mondiale connaît une croissance soutenue depuis 1945. Cela se traduit concrètement par des innovations ou encore par un allongement de l’espérance de vie et une hausse du niveau moyen d’éducation. En matière d’information et de communication, nous jouissons par exemple d’Internet et de la téléphonie mobile, alors que nos parents devaient se contenter d’une chaîne de télévision unique et d’une ligne de téléphonie fixe......
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