A Lyon dans le cadre des Journées de l'Economie (Jeco), Jean Tirole pointe trente ans d'inaction climatique et la difficulté posée à nos démocraties. "On est au pied du mur", prévient le prix Nobel.
Interview parue dans Le Progrès le 16 novembre, propos recueillis par Dominique Menvielle
Le climat devient le sujet majeur. On l'a vu en ouverture des Jeco. L'inquiétude est si grande?
"Effectivement. Personnellement, je suis tres inquiet. Déjà, on a procrastiné trente ans et là, en Europe, on continue à dire d'utiliser les énergies fossiles. Si les gens ne réagissent pas et ne réflechissent pas à la façon dont on pourrait sauver la planète , ce sera très difficile pour une démocratie. On peut demander des efforts aux entreprises mais in fine, elles réagissent à ce que demandent les consommateurs. Même chose des politiques qui suivent leurs électeurs. Si l'on continue à considérer, que oui, le déréglement du climat est important, mais qu'on ne fera rien, on ne s'en sortira pas."
Comment agir?
"On est au pied du mur. Plus on attend, plus décarboner va couter cher. II nous faut reduire de maniere drastique notre production par incitation et financer de la R & Den particulier sur les technologies de rupture.
Nous en sommes au stade ou on espère trouver de nouvelles technologies, sans savoir lesquelles vont marcher. Pour les vaccins, ce qui a été intelligent, c'est de ne pas prendre parti. Pour lutter contre le réchauffement climatique , c'est pareil. II faut essayer différentes pistes, dont l'hydrogène, et rester neutre. Surtout les politiques, qui n'ont pas les compétences technologiques. On le voit aussi en commission: chaque lobby essaie de peser. II faut se dire que ce qu'on veut, c'est la décarbonation. Peu importe comment elle se passe."
Vous défendez la taxe carbone. Expliquez-nous.
"Pratiquement tous les économistes sont pour la taxe carbone, alors que le monde entier est contre. Les gens préfèrent les subventions, mais les subventions ce sont des taxes ! Les politiques suivent l'opinion publique. Pas de taxe carbone, parce que c'est punitif, alors que c'est ce qui créerait l'incitation nécessaire pour acheter des voitures mains grosses, faire du covoiturage, isoler, etc. En réalité, la taxe carbone est souvent mal faite. II ya beaucoup d'exemptions, pas assez de compensations pour les plus démunis ... On peut faire beaucoup mieux, mais la taxe carbone est indispensable."
Plus ou moins d'Etat?
"Les gens sont anxieux et ont des raisons de l'être, en particulier les jeunes. La tendance est alors de chercher l'homme ou la femme providentielle. Or, la responsabilité de ce qui est en train de se passer, vient en grande partie de l'Etat qui ne joue pas son role de régulateur, sur l'environnement et pas seulement. Penser qu'on resoudra le problème avec plus d'Etat, ne me semble pas la bonne solution."
Terminé, la croissance?
"Elle reviendra à long terme. Si on résout le problème du réchauffement climatique, le progres technologique fait que la croissance est là. Nos petits-enfants et arrière-petits-enfants seront plus riches que nous en termes d'innovation. Déjà, on ne se rend pas compte de ce que l'on a actuellement. Encore une fois, on l'a vu avec le vaccin à ARN messager. Dans le temps, ii fallait au moins dix ans pour trouver un vaccin, dix ans de confinement..."
Plus on attend, plus décarboner va coûter cher.
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