Politique climatique à l’américaine

6 Octobre 2023 Environnement

En adoptant l’Inflation Reduction Act, les Etats-Unis ont choisi de subventionner massivement la décarbonation plutôt que de pénaliser directement les sources d’énergie carbonée. Un traitement bienvenu pour guérir d’une addiction aux énergies fossiles qui présente cependant quelques effets indésirables.   

 

L’Inflation Reduction Act

Le 16 Août 2022 marquait l’aboutissement de tractations intenses qui se sont soldées par un vote très serré au Sénat (51 voix pour, 50 contre). Ce jour-là, le Président Joe Biden signait le décret d’application de la première politique climatique d’envergure décidée au niveau fédéral : l’Inflation Reduction Act (IRA). Afin de s’assurer l’appui du très conservateur sénateur démocrate Joe Manchin qui a  fait fortune dans le charbon, le projet de faire payer les émissions de CO2 un temps évoqué a été abandonné. Seule une taxe sur les émissions de méthane issues de l’extraction des énergies fossiles subsiste. Dans sa forme définitive, l’IRA engage des dépenses à hauteur de 392 milliards de dollars sous forme d’exemptions fiscales, de prêts ou de subventions, pour des investissements dans des technologies décarbonées : les énergies renouvelables éolienne et solaire, le stockage de l’énergie, le nucléaire, les voitures électriques, l’efficacité énergétique, ainsi que la capture et la séquestration du carbone.

Ce choix contraste avec celui de l’Union européenne qui a fait du système d’échange de quotas d’émission le pilier de sa politique climatique. Chaque tonne de CO2 émise dans l’atmosphère par combustion des énergies fossiles coûte actuellement environ 85 euros aux industriels et électriciens européens assujettis. Ce système a vocation à être étendu à d’autre secteurs et renforcé par un mécanisme de tarification du carbone à la frontière. Plutôt que d’augmenter le coût des énergies fossiles par une tarification du carbone, les Etats-Unis ont préféré réduire le coût des équipements qui produisent ou utilisent l’électricité décarbonée. Un compromis politique qui a permis de faire pencher la balance sénatoriale du côté de l’adoption mais qui n’est pas sans effets négatifs.

 

De l’énergie à prix cassés

Une étude récente a évalué l’impact de l’IRA sur les prix de l’électricité. Dans le graphique reproduit ci-dessous, les auteurs comparent les prix en dollars du mégawattheure électrique sur le marché de gros aux Etats-Unis sous le régime de l’IRA (courbe bleu), sans l’IRA (courbe grise) et dans le cadre d’une politique climatique « à l’européenne » basée sur un prix du CO2 (courbe jaune). Les trois ensembles de données sont reclassés de façon décroissante en fonction du pourcentage des 8760 heures de l’année.

Clairement, l’IRA atteint un de ses objectifs : réduire l’inflation du coût de l’énergie. Mais au prix d’un perturbation sérieuse du marché de l’électricité. On voit que la courbe bleue touche puis passe sous l’axe horizontal autour de 55% des heures, ce qui signifie que le prix du mégawatt-heure (MWh) sera nul, voire négatif, près de la moitié du temps. Pendant presque 4000 heures par an les exploitants de fermes éolienne ou solaire n’encaisseront rien ou devront payer pour se débarrasser de la surproduction d’électricité. On voit aussi que la courbe bleue est celle qui présente la plus forte amplitude. Autrement dit, la volatilité des prix s’accroît considérablement, ce qui augmente les risques d’un investissement dans la production d’électricité. Tout cela ne se produirait pas en tarifant les émissions de CO2 (courbe jaune). Les prix auraient été stables et positifs (de l’ordre de 50 $ le MWh). Malgré la baisse drastique des prix de gros, l’IRA entrainera une réduction modeste du prix de détail de l’ordre de 2,2% en 2030 et 4,5% en 2050 pour les consommateurs.

Une baisse du coût de l’énergie n’est pas une bonne nouvelle pour le climat. Elle n’incite pas à la sobriété. Elle favorise ce que les économistes appellent « l’effet rebond » : puisque se chauffer ou se déplacer coûte moins cher, autant augmenter la température de son logement et prendre plus souvent sa voiture. D’autre part, en favorisant les pompes à chaleur et les voitures électriques, l’IRA réduit la demande d’énergies fossiles. Cette contraction de la demande devrait se traduire par une baisse des prix du gaz et du carburant, du moins à court terme tant que l’offre ne se sera pas ajustée. Finalement, en ne tarifant pas les émissions de CO2 et en subventionnant l’électrification, l’IRA aura pour effet d’inciter à brûler davantage du gaz et du pétrole. Cet effet collatéral indésirable aurait pu être évité avec un prix du carbone.

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Comment guérir d’une addiction aux énergies fossiles tout en les maintenant accessibles financièrement ? L’IRA permet d’éviter la taxe sur les émissions de gaz à effet de serre, qui est perçue comme punitive, en récompensant les technologies propres par des subventions. Ces politiques environnementales gratifiantes ont l’avantage d’être plus facilement acceptées par l’opinion publique, et donc par les élus comme le sénateur Joe Manchin, mais elles présentent plusieurs inconvénients. D’abord, elles maintiennent le prix de l’énergie à un niveau qui ne reflète pas son coût environnemental, ce qui encourage sa consommation. En second lieu elles sont plus coûteuses. Pour avoir un ordre de grandeur, aux USA, la production d’électricité s’est élevée à 4 547 TWh en 2022. Donc, les 392 milliards de l’IRA rapportés à cette production donnent 86 dollars par MWh. Bien sûr on objectera que l’IRA, donc son coût, n’est pas annuel et que ses bénéfices s’étendront sur une ou plusieurs décennies. Mais cet effet intertemporel est difficile à estimer. Par ailleurs, le coût d’administration et de contrôle des subventions n’est généralement pas intégré au calcul. Le gros avantage de l’IRA est d’être indolore. En refusant de le financer par un prix du carbone, l’administration américaine évite de faire payer les pollueurs, donc épargne le sénateur Joe Manchin.  

 

Publié sur La Tribune

Photo : Brandon Mowinkel sur Unsplash